Sur les chemins noirs, de Sylvain Tesson & Lu par Grégori Baquet
En 2014, Sylvain Tesson fait une chute de plus de dix mètres en escaladant un chalet chez des amis à Chamonix. Le corps en vrac, après des mois d'hospitalisation, l'écrivain se relève douloureusement de ce traumatisme et se lance pour défi de traverser la France à pied. Un périple qu'il va effectuer entre août et novembre 2015, non sans mal. Lui qui avait coutume de vivre en surchauffe se découvre une lenteur et une faiblesse qui ralentissent sa marche et entaillent son insouciance. Durant tout son voyage, il éprouve avec peine son endurance, se familiarise avec son nouveau corps, n'ignore pas que sa paralysie faciale suscite effroi et répulsion, ou qu'il s'exprime désormais avec l'apathie d'un vieux grabataire. Sylvain Tesson est un miraculé, mais ne supporte plus la compassion qui l'entoure et s'échappe donc vers “les chemins cachés, flanqués de haies, les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés”. C'est donc avant tout pour le plaisir de flâner au cœur des campagnes profondes et oubliées qu'on se plonge dans cette lecture, parsemée d'éclats poétiques, de considérations philosophiques, d'aigreurs politiques, de fulgurances littéraires et de petites victoires personnelles. La marche de l'écrivain est en effet jalonnée de rencontres avec d'autres randonneurs, à la recherche du pittoresque, et surtout avec des paysans désabusés, les rares témoins du paysage de la France et de son évolution. Le roman est court, il s'écoute en seulement 4 heures, s'apprécie pour la composition sensible et sincère de Grégori Baquet, portée par une réalisation sonore qui invite à l'évasion et à la rêverie. Cela se lit aussi comme une échappée belle à la Giono - prose élégante et contemplation de la nature environnante - cela nous contraint quelque part à se poser, à profiter du moment présent, à souffler et à réfléchir aux vies toujours pressées que l'on mène. Cela force enfin l'admiration, pour l'acharnement à reconquérir une liberté perdue, pour l'accomplissement de soi et la sensation galvanisée d'une renaissance chèrement acquise.
Ce livre s'ouvre comme une parenthèse salvatrice et bienfaisante - que l'on referme à regret. Au final, c'est aussi une belle leçon de vie et d'absolutisme, un hommage à la beauté des paysages façonnés par des artisans de l'ombre. Un récit qui s'écoute avec beaucoup d'attention.
©2016 Éditions Gallimard (P)2016 Éditions Gallimard Coll. Écoutez Lire
Lu par : Durée : 3 h 51
- « Il m'aura fallu courir le monde et tomber d'un toit pour saisir que je disposais là, sous mes yeux, dans un pays si proche dont j'ignorais les replis, d'un réseau de chemins campagnards ouverts sur le mystère, baignés de pur silence, miraculeusement vides. La vie me laissait une chance, il était donc grand temps de traverser la France à pied sur mes chemins noirs. Là, personne ne vous indique ni comment vous tenir, ni quoi penser, ni même la direction à prendre. »
(Sylvain Tesson)