Celui d'en face - Gabrielle Ciam
Je suis une femme seule, j'ai quarante ans, je vis confortablement dans un appartement au coeur de Paris. Et j'en ai fini avec le sexe, pour de bon. C'est la parole de la narratrice, qui s'adresse à un homme, inconnu du lecteur. Elle lui raconte son expérience excitante d'avoir flirté avec son voisin d'en face, cet inconnu qui a introduit son intimité, sans jamais se dévoiler. Un jour, elle est apparue nue dans le salon et elle a bien senti qu'on l'observait, en face. Troublée, elle a eu le besoin de "se donner" à cet anonyme qui a su émoustiller son désir. Elle croyait en avoir fini, c'est tout autre chose qui commence : l'apprentissage du désir, les sens en éveil, l'attente du regard, le besoin de se livrer à l'inconnu. Il est "celui d'en face", celui qui compte pour elle, "ce que je voulais, c'est qu'il me regarde, qu'il pose les yeux sur moi, de loin, à l'affût, et qu'il me voie m'offrir".
Le jeu qu'elle joue est celui du chat et de la souris. Un homme et une femme se guettent, s'épient et se contemplent. Les préliminaires ont été absous, il y a une volonté explicite dans l'art d'être désiré, c'est cru dans les gestes, mais élégant dans les paroles. Car Gabrielle Ciam a renoué avec l'érotisme, comme dans son premier roman "Le train de 5h50", où il était question aussi d'observation et de fantasmes fous. "Celui d'en face" n'est pas obscène, et la narratrice parvient à attiser sa flamme par sa confession à son interlocuteur inconnu. La fin est charmante, on attend quelle suite l'affaire a donnée !... Ce 3ème roman de Gabrielle Ciam est capiteux, impudique, affriolant... enfin bref, ce sont les femmes qui en parlent le mieux ! Lisez-le !
Arléa
Ce que je sais d'elle - Béatrice Hammer
Une femme a disparu, laissant derrière elle un mari et deux enfants. "Un enquêteur" interroge la famille, les amis, les collègues et les gens du quartier, ceux qui ont côtoyé cette mystérieuse femme. Car à la lecture des différents témoignages, on s'aperçoit que celle-ci n'était pas tout à fait la même : secrète, certes, mais pour certains, destructice et croqueuse d'hommes, pour d'autres, artiste utopiste, excellente professeur de maths, introvertie mais rancunière, une mère, une femme, une épouse lassée par son quotidien, qui a pris les voiles. On pense qu'elle est morte, qu'elle a été enlevée, qu'elle s'est enfuie avec un amant, qu'elle a changé de vie... Chacun tente d'apporter une solution, ou sa propre explication pour rejeter le sentiment de culpabilité, pour refuser de voir et de comprendre pourquoi cette femme s'en est allée sans mot dire. A la fin du livre, il n'est vraiment pas possible d'apporter un portrait défini de cette femme : elle est tout et rien à la fois. Ses traits sont flous, son caractère fuyant... peut-être n'a-t-elle jamais existé ? Il est possible de créer l'image fantasmée d'une personne, il est plus difficile de cerner la vérité. Ce livre de Béatrice Hammer démontre que toute personnalité est nuancée, qu'elle est le fruit de l'imagination des gens qui nous entoure. "Ce que je sais d'elle" de Béatrice Hammer a de plus une conclusion assez délirante et ouverte aux plus folles spéculations !
Arléa
Le corps incertain - Vanessa Gault
Vanessa Gault n'a pas trente ans quand son médecin lui annonce qu'elle souffre de la sclérose en plaques. Cette brillante enseignante a cette pensée fulgurante : une vision d'elle assise dans un fauteuil roulant, un plaid sur les genoux, avec trois ans à vivre. Mais qu'est-ce que la SEP ? Comment son corps peut-il la trahir ? Comment la maladie se déclare, comment ruine-t-elle le quotidien et la croyance d'avoir la vie devant soi ? Il faut tout revoir, tout réapprendre. Apprivoiser son corps, le mal qui ronge, les sursauts et les plongées vers la douleur, la paralysie des membres. La SEP est avant tout "un mal secret" qui, un jour, devient "un corps exposé". Dans cette seconde partie, Vanessa Gault expose la honte infligée par le regard extérieur qui se pose sur ses cannes, devenues indispensables pour marcher. La maladie ayant progressé, la jeune femme s'affaiblit et perd la force de marcher, de tenir debout. Devenir handicapée, aux yeux de tous, devient une humiliation ordinaire, affreusement banale mais douloureuse. "C'est rarement de la cruauté volontaire; c'est plus souvent de la maladresse, de l'indifférence, de la bêtise".
"Le corps incertain" est le récit touchant, très peu émouvant, d'une femme douée et intelligente, qui regarde sa maladie avec lucidité. Elle ne se lamente jamais, elle s'emporte quelquefois et épingle les mauvais points dans le système (médical, de la sécurité social, dans la rue, les transports communs, en amitié, etc.). Mais à aucun moment elle ne donne le sentiment de s'apitoyer, il y a une telle force chez elle. Son récit est une leçon de vie stupéfiante. Quand je parle d'un récit peu émouvant, c'est surtout dans le sens qu'elle ne nous tend pas un kleenex pour étancher les larmes. Jamais. Pourtant, il est clair que son combat n'est pas de tout repos, tant la maladie est lâche et perfide. "Je ne suis pas une personne en bonne santé; mais je suis capable à certains moments de faire certaines choses, et peu de temps après je ne peux plus. Et je vous assure que je ne fais pas semblant." Concernant son témoignage, il a beaucoup à nous apporter, à nous apprendre !
Arléa