Avec ses moustaches - Thomas Paris
Marc et Jeanfrançois fêtent leurs retrouvailles dans un café. Ils se sont connus sur les bancs de l'université, Jeanfrançois (volonté absolue de sa mère de ne pas donner de prénom composé!) a séduit son camarade avec ses idées de jeune révolutionnaire, en lutte contre l'oppression de la société capitaliste. Quinze ans ont passé et les deux amis débordent à nouveau de projets contre les Morlocks, une souche d'opportunistes bien définie, les privilégiés, et qui horripile Jeanfrançois. Son chef de file, à ses yeux, est le pdg de Canal France : Hubert Lefur. Il faut l'anéantir, le kidnapper... lui raser sa moustache !
Car cet Hubert Lefur, finalement modeste et bonasse, est pourvu de belles moustaches à l'ancienne, "qui se déployaient avec discipline sous son nez fort, décollaient dans un début de looping et se désintégraient pour éviter une collision fracassante". Sa marque de fabrique, sa signature. Et quoi de plus vengeur que de s'en emparer, couic, d'un coup de ciseaux ?! Ainsi s'en vont trois compères (un certain Erwan va s'allier à cette vendetta contre l'oppresseur) dans une aventure ubuesque. On les prendrait pour des hussards, et Thomas Paris lui-même se porte en héritier de cette fougue intempestive. Il manie la plume avec panache, il envoie dans les roses tout semblant de gravité et sérieux. Comme il a su le prouver dans son premier roman ("Pissenlits et petits oignons"), Thomas Paris passe le cap du deuxième roman avec brio. Il tord le cou aux amourettes, aux révolutionnaires, aux dirigeants, aux bourgeoises, aux amants, aux étudiants, aux lympathiques, etc... Mais par contre, il rend hommage à LA figure de la Chrétienne, "au seul sens du terme", c'est-à-dire la grand-mère (d'Erwan), qui mérite sa place dans ce roman, et dans tous les romans d'ailleurs. C'est là toute la fantaisie de l'écrivain, son hommage, son adoration. Pour vous convaincre d'ouvrir son roman, n'attendez plus de le lire !
Buchet Chastel
La maison Tudaure - Caroline Sers
L'adjudant Marty et son subordonné Maillet débarquent dans le café d'un village reclus. Dans la forêt, on vient de trouver trois sacs abandonnés et qui contiennent des corps de nouveaux-nés. L'affaire suscite un vif émoi, ressuscitant un spectre vieux de cinquante ans, quand des mystères similaires semblaient avoir frappé de plein fouet les habitants de ce coin perdu. A l'époque, impossible de découvrir le coupable, le village avait fait bloc et s'était enfermé dans son silence. Aujourd'hui, la police affronte à nouveau ces villageois, hâtivement décrits comme des sauvages dans la presse, mais l'adjudant Marty veut en découdre à tout prix, il fera cracher le morceau ou sinon rien.
Les personnages principaux sont tous mystérieux, il y a Claude, un garçon solitaire qui ne se rend plus à l'école, c'est le fils du vétérinaire Simon Vermillon. Celui-ci est marié à Camille, la fille du rempailleur, personnalité de haute estime dans la mémoire de tous ces gens. Ils sont tous murés dans leurs silences et leurs secrets : le cafetier, le boulanger, le grand-père Dupuis et les gamins... Certains ont été blessés d'avoir été montrés du doigt et jetés à la vindicte populaire, sans possibilité de se défendre. La nouvelle génération, elle, tient à porter le flambeau et veut se faire respecter. Mais quand la machine infernale s'emballe, c'est très difficile de chercher à maintenir les rênes.
La figure de "La Maison Tudaure" est la clef de toutes les énigmes. C'est une présence ombrageuse, une maison abandonnée et qu'on dit maudite, à l'image du village. C'est une maison que tous condamnent mais qu'ils refusent de céder.
A l'occasion de son deuxième roman, Caroline Sers a décidé d'employer le genre du roman noir et policier. En quelques touches incisives, elle crée une atmosphère opaque, impénétrable d'un petit village écarté avec ses habitants tout aussi intrigants. Derrière ce climat de suspicion générale, Caroline Sers a aussi souligné la délicate délation de la presse, impuissante à percer des remparts, et qui préfère frapper dans le tas plutôt que s'avouer vaincue. Parce qu'ils vivent à leur mode, ces villageois sont déconsidérés de toute condition humaine et étiquetés comme des primates incultes et non civilisés. C'est flippant. Peut-on leur reprocher, ensuite, de s'unir en se taisant, au risque d'attiser les flammes de défiance ? "La maison Tudaure" est un roman réussi, dans sa peinture des âmes humaines (tiens, cela se rapproche du livre de Philippe Claudel, "Les âmes grises") et dans son intrigue sombre et angoissante. Le fin de l'histoire, d'ailleurs, est plutôt cocasse et insoupçonnable !
Buchet Chastel