Une équipe en plein tournage de film, coincée dans un hôtel au milieu du désert, avec la menace d'un feu de forêt à l'horizon, se pose des questions sur l'avenir de leur film. La star féminine, Kitty, est couchée dans son lit, incapable d'être sur pied pour reprendre le tournage. Kitty est épuisée, droguée par les médicaments, abrutie par les conseils de son coach et bouleversée par l'échec de son couple. L'ambiance est électrique, prête à s'enflammer. Les uns et les autres cherchent une solution, veulent aider Kitty et savoir si le tournage peut continuer ou s'arrêter. La fin du film, vraiment ?
La pièce d'Arthur Miller raconte donc l'histoire du dernier film dans lequel son épouse Marilyn Monroe a joué, en même temps que sonnait le glas de leur couple. Cela fait un peu froid dans le dos, c'est un réglement de comptes ? Oui, mais surtout vis-à-vis de l'entourage de l'actrice, et implicitement sur les névroses de celle-ci. On reprocha à Miller d'avoir écrit cette pièce, qui tourne en dérision Marilyn, pièce écrite après la mort de cette dernière. Un comble, oui. Une manière détournée de profiter de la notoriété de la star pour amener un public autour d'une pièce au sujet sulfureux. Or, dans "La fin du film", le personnage de Kitty n'a pas de répliques, c'est un personnage muet, camouflé sous les draps, criant après son mari Paul, geignant, pleurant et qui promène une silhouette nue et flageolante dans le couloir de l'hôtel, en soupirant "mes fraises, où sont mes fraises".
Je reconnais qu'on vient à la lecture de la pièce pour son côté scandaleux, pour découvrir la vision de Miller sur son ex-femme, sur la façon dont on a cherché à faire porter sur l'actrice toute la responsabilité d'un film au tournage catastrophique. Il n'y a finalement que la secrétaire Edna qui apparaisse sincère, humaine et compatissante. Pour le reste, c'est un concours d'opportunisme. Il y a beaucoup de virulence envers le couple Flora et Jerome (autrement dit, Paula et Lee Strasberg). Les problèmes de dettes et de boisson du réalisateur Derek sont évoqués en filigrane (John Huston). On devine très aisément qui est qui dans cette comédie acrimonieuse, à la fois cruelle et sublime, c'est vrai. Il y a de la malice à se parer d'indulgence quand le personnage de Paul (mari de Kitty) avoue avec dépit l'échec de son couple, l'anéantissement de leur avenir en commun ("Nous avons passé notre temps à nous présenter l'un à l'autre. Aujourd'hui elle me fait peur."). Sans oublier les perles qu'il tisse autour de l'actrice, pour souligner combien elle est talentueuse, douée mais au bout du rouleau, excessive à réclamer qu'on la respecte et lui rende la sensation d'être divine et lumineuse, comme à ses débuts. Il est fatalement impossible de juger la pièce en elle-même, tout ramène au spectre de Marilyn, comment peut-on féliciter Miller de son coup de plume ? Ce n'est quand même pas très souple de sa part. Et c'est avec aigreur, quasiment, qu'on relève une phrase comme celle-ci : "Quand les gens prononcent son nom, c'est comme s'ils invoquaient une déesse. Une idole. Un objet sacré. Mais elle était une femme avant tout. Une femme qui a connu la faim, la soif, la déception, le sexe...". C'est une histoire triste et amère.
Grasset
- "Chérie, nous nous souviendrons de tout cela plus tard comme d'une promenade dans un jardin fleuri !"