" L'écrivain écrit sans cesse. Ce torrent de mots qui bouillonne constamment dans son cerveau est la particularité du romancier. J'ai rédigé beaucoup de paragraphes, d'interminables pages et un nombre incalculable d'articles tout en promenant mes chiens, par exemple : dans ma tête, je déplace les virgules, change un verbe pour un autre, peaufine un adjectif. Il m'arrive parfois de rédiger mentalement la phrase parfaite et, si je ne la note pas à temps, je ne la retrouve malheureusement plus. J'ai souvent ronchonné en essayant désespéremment de récupérer ces mots exacts qui avaient illluminé un instant l'intérieur de mon crâne avant de disparaître à jamais dans l'obscurité. Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d'écailles au milieu des eaux noires. S'ils se décrochent de l'hameçon, on a peu de chance de les repêcher. Les mots sont rusés, rebelle et fuyants. Ils n'aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c'est le tuer. "
La folle du logis - Rosa Montero