La folle du logis - Rosa Montero
Ce livre de Rosa Montero est en vrac un essai sur la littérature, sur l'écriture, sur l'imagination, sur la folie et sur la passion amoureuse. Tout va de paire, aucun des éléments cités n'est dissociable, et Rosa Montero l'explique, le démontre et cite avec passion de beaux exemples piochés dans Italo Calvin, Goethe, Kipling, Rimbaud, Philip K. Dick, Truman Capote, Martin Amis, Stevenson, Marguerite Yourcenar ou les Mille et Une Nuits. Honnêtement, ce livre est, à mes yeux, un enchantement du début à la fin et séduira tous les lecteurs et les inconditionnels du monde de la littérature et des coulisses des écrivains, des mystères de leur mécanique, du leitmotiv des uns et des autres qui les pousse à aligner d'aussi beaux mots pour créer l'étincelle. Moi, je raffole ! J'en ai souligné des passages que je trouvais pertinents, ou des points qui interpellaient la sensibilité de la lectrice que je suis.
En somme, dans "La folle du logis" (qui est, comme chacun le sait, l'appelation de Sainte Thérèse d'Avila pour évoquer l'imagination), Rosa Montero n'hésite pas à montrer l'écrivain comme un personnage vaniteux ou maudit, éperdu de reconnaissance, buté dans son jugement de valeurs, persuadé d'être l'éternel incompris, essouflé de courir après toujours plus de flatterie, jamais repu des critiques élogieuses, ou même suspicieux envers les compliments, avare de confidences, ou trop bavard sur son intimité, etc. etc. Le portrait de l'Ecrivain n'est jamais défini tant les exemples sont nombreux à fausser quelques vilaines idées reçues, notamment concernant le chapitre des écrivains femmes / écrivains féministes ? La sempiternelle question, qui exaspère Rosa Montero. Et celle-ci n'en mène pas large, quand elle se dévoile, elle déjoue les pronostics et livre quelques billes. Pourtant ce croustillant épisode avec M., l'acteur européen qui a remporté un succès à Hollywood dans les années 70, n'a pas cessé de revenir à la charge, indiquant ainsi que l'imagination, cette araignée qui sommeille sous le plafond, est une idée folle et capricieuse, qui s'amuse avec les mots, l'intime et la crédulité du lecteur ! C'est une fine escroquerie, chapeau Madame !
Métailié
- La fiction est à la fois une mascarade et un chemin de libération. D'une part, elle masque notre moi le plus intime sous prétexte d'histoires imaginaires, c'est-à-dire qu'elle déguise notre vérité la plus profonde sous les oripeaux multicolores du mensonge romanesque. Mais, d'autre part, permettre à la folle du logis de s'exprimer en toute liberté n'est pas chose facile... (...) Le bruit de notre propre vie est toujours gênant, c'est pourquoi il nous faut prendre de la distance.
- Le métier d'écrivain est très paradoxal : on écrit d'abord pour soi-même, pour le lecteur qu'on porte en soi ou encore parce qu'on ne peut pas faire autrement, parce que la vie nous est insupportable sans l'aide de l'imagination ; mais en même temps on a absolument besoin d'être lu et pas seulement par un seul lecteur si fin et si intelligent soit-il, quelle que soit la confiance qu'on puisse avoir en son jugement. Il nous en faut plus, beaucoup plus, infiniment plus à vrai dire, une foule considérable, car notre fringale de lecteurs naît d'une avidité profonde et insatiable, d'une exigence sans limites qui frise la folie et m'a toujours semblé extrêmement bizarre.
- Je ne connais pas un romancier qui ne soit affligé du vice insatiable de la lecture. Nous sommes, par définition, des bêtes de lecture. Nous rongeons inlassablement les mots contenus dans les livres comme les vrillettes passent leur vie à dévorer du bois. (...) Car enfin, comment peut-on vivre sans lecture ? Cesser d'écrire, c'est peut-être la folie, le chaos, la souffrance mais cesser de lire, c'est la mort instantanée. Un monde privé de livres est un monde sans atmosphère, comme la planète Mars. Un univers impossible, inhabitable.
- Lire, c'est vivre une autre vie.
Echappée de lecture
" L'écrivain écrit sans cesse. Ce torrent de mots qui bouillonne constamment dans son cerveau est la particularité du romancier. J'ai rédigé beaucoup de paragraphes, d'interminables pages et un nombre incalculable d'articles tout en promenant mes chiens, par exemple : dans ma tête, je déplace les virgules, change un verbe pour un autre, peaufine un adjectif. Il m'arrive parfois de rédiger mentalement la phrase parfaite et, si je ne la note pas à temps, je ne la retrouve malheureusement plus. J'ai souvent ronchonné en essayant désespéremment de récupérer ces mots exacts qui avaient illluminé un instant l'intérieur de mon crâne avant de disparaître à jamais dans l'obscurité. Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d'écailles au milieu des eaux noires. S'ils se décrochent de l'hameçon, on a peu de chance de les repêcher. Les mots sont rusés, rebelle et fuyants. Ils n'aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c'est le tuer. "
La folle du logis - Rosa Montero
La Tsarine - Constance Delaunay
" Ecrire, cela m'est venu tout d'un coup, à cause de ce que Clio, ma fille, m'a dit récemment : "Je me souviens que dans mon enfance, tu étais malade, physiquement malade, avec des migraines, des vomissements, chaque fois que tu devais aller voir ta mère. Pourtant tu ne la voyais pas souvent." A-t-elle raison cette enfant d'accuser sa propre mère et également la mère de celle-ci d'être dans le même panier de crabes ? La mère, dite La Tsarine, était un monstre, qui disait des horreurs à tout le monde, qui était égoïste, coquette, hypocrite et se moquait des autres, de leur opinion et du qu'en-dira-t-on. "Olga", la narratrice, s'étonne, s'insurge, s'époumone contre sa fille de penser des choses pareilles, pourtant n'a-t-elle pas raison, dans le fond ? Si l'on se penche sur la question, on s'aperçoit que la Tsarine méritait ce qualificatif. Cette diva, native du siècle dernier, était une figure maternelle de la pire espèce, mais il est cependant impossible de la détester complètement.
Dans ce portrait, donc, la narratrice tente d'expliquer son rapport avec sa mère, c'est difficile, certes, mais constructif. Souvent, elle en veut à Clio qui la pousse dans le dos pour écrire toutes ces vilaines choses, pour fouiller ses souvenirs, se forcer à réfléchir et décortiquer. Une très bonne thérapie, ce livre. La narratrice a beau se débattre, elle parvient à quelques bonnes conclusions qui l'éclaire également sur ses relations avec sa propre fille. Et de toute façon, on n'échappe pas à son destin, ni à son héritage, encore moins à la filiation. Et "Olga" s'aperçoit que la Tsarine est présente en elle, dans les traits et dans la personnalité, c'est inhérent. "Il faut accepter que les choses se répètent. Les conflits, les malentendus confirment le passage du témoin, d'une génération à l'autre : rien ne naît jamais de rien." Et la boucle sera bouclée, à grand-peine, en admettant qu'il y a à la fois de l'humour, du sourire, de l'acrimonie et un peu de froideur. Le constat est plat, mais assez désarmant. Il renvoie une autre image, celle qu'on entretient aussi avec sa mère et son enfant. Portrait séduisant, accablant et qui implique un certain désarroi de la part de celle qui l'écrit mais, malgré tout, c'est positif et efficace.
- " Ma mère, un monstre ? Peut-être, mais tant d'autres choses aussi : une actrice consommée, une femme de devoir, une veuve séduisante, une bourgeoise conventionnelle, une juive antisémite, une femme-enfant, une marâtre qui s'ignore, une éducatrice atypique, une jeune femme capricieuse, imprévisible, avec la folie en tête. J'en ai de la chance d'avoir une mère comme elle, cela n'est pas donné à tout le monde. "
Gallimard
- D'autres lectures de Constance Delaunay : Autour d'un plat & Sur quel pied danser (2 recueils de nouvelles)