Gestations - Tove Nilsen
En découvrant qu'elle est enceinte, la narratrice se réfugie chez les soeurs pour réfléchir et apprécier cette nouvelle. Auparavant, elle a déjà fait deux fausses couches qui l'ont cruellement meurtrie. Parallélement, cette femme se lance dans l'écriture d'un nouveau roman, guidée par les esquisses de Leonard de Vinci qui représentaient des foetus et une femme enceinte décédée. Inspirée par ses recherches sur la création artistique féminine, elle va s'intéresser à Henrickje Stoffels, qui fut le modèle et la maîtresse de Rembrandt. Son interprétation de Bethsabée recevant l'ordre du roi David a immortalisé sa grâce, son ventre de femme enceinte et son mystère...
Les mois passant, la narratrice est à l'écoute de son corps et du bébé niché en son sein. Elle voyage d'Oslo à Amsterdam et jusqu'à Paris, l'enfant chipote et semble contester à sa mère le droit de mener sa vie trépidante. Elle s'incline. "Etre enceinte, c'est aussi rompre avec la chronologie. Pourquoi ? Parce que celui qui a été nouvellement conçu a de tout temps été "mort" avant que la vie ne se manifeste. Etre attiré par un tableau vieux de trois cents ans, c'est voir comment le talent se hausse au-dessus du temps et, par là même, de la chronologie". La narratrice ne cesse de s'interroger, pourquoi cette fascination pour Henrickje, pourquoi cette nécessité d'écrire. Elle mêle avec humour et intelligence ses pourquoi et ses pirouettes, introduisant l'homme qui partage son quotidien et avec lequel la complicité est flagrante.
"Gestations" est un roman (?) qui parle de la création et de la mise au monde, (enfant plus roman, bien forcément !). Cette idée de mettre en miroir cette double conception est judicieuse et évidente. Le fait de considérer ce livre comme un roman m'étonne un peu, car je l'envisageais comme un récit d'une expérience personnelle. Tove Nilsen est née en 1952 à Oslo, elle est considérée comme l'auteur d'une écriture engagée. "Gestations" apporte sa petite pierre à l'édifice qu'est l'enfantement dans la littérature. Un texte très honnête, spirituel et vraiment drôle, avec des rencontres et des personnages époustouflants.
Gaia
Dormir ensemble - Hervé Brunetière
"Bon, puisque tu veux le savoir, on a dormi une nuit ensemble, Ronan et moi, mais il n'est rien passé entre nous. Il était triste et m'a demandé de dormir avec moi. Au début, j'ai dit non. Ensuite, j'ai dit : Oui, à condition que tu ne me touches pas. Il m'a promis et on a dormi comme ça, l'un à côté de l'autre." - Il ne s'est rien passé, vraiment ? Le narrateur refuse de s'en contenter. Il se nourrit de cette nuit et des folles pensées qu'il entretient à ce sujet. Dormir ensemble, soit, mais ce n'est pas un acte anodin et totalement libre, selon lui. Cela fait deux ans qu'il y pense, qu'il se passe le film en pensées. Sa femme et cet autre, prêts à se coucher côte à côte, se livrant au rituel de dormir ensemble, d'une nuit interminable, peau contre peau, le souffle à l'unisson.. Non, pas possible. Il y a forcément eu un geste, une approche, une pensée... Rien que d'y penser le rend malade. Son texte est un bouleversant témoignage, un gage de folie et de passion amoureuse. "Je pars du principe qu'ils n'ont pas fait l'amour et je cherche tout ce en quoi ils ont fait l'amour sans faire l'amour." - Car finalement, l'acte d'amour est bien plus manifeste dans son expression sensuel, pas nécessairement "passage à l'acte". En 58 pages, Hervé Brunetière livre plusieurs clefs du sentiment amoureux et celui naissant de la jalousie. Le désespoir de cet homme est en quelque sorte bizarre, mais pas facile d'y être insensible...
L'escarbille
Merci Laure !
No sex last year, La vie sans sexe - David Fontaine
Près de quarante ans après la révolution de 1968, où la liberté sexuelle a figuré parmi les éléments clefs de cette "révolution", on constate de plus en plus un étalage sans pudeur du sexe dans la société du 21ème siècle, dans sa consommation, dans la publicité, dans les discours etc.. C'est très tendance, dans la normalité, etc. Or, en contrepartie, les études sur les comportements sexuels des français s'aperçoivent aussi qu'il y a de plus en plus d'abstinents, des "no sex" qui taisent le fait de ne pas pratiquer, plutôt par honte et crainte de paraître "anormal".
L'essai de David Fontaine s'est appuyé sur le témoignage de douze personnes, six femmes et six hommes, qui connaissent ou ont connu l'abstinence sexuelle. Leurs expériences montrent que ce n'est pas obligatoirement un choix personnel, plutôt un concours de circonstances (après un divorce, un échec professionnel, une enfance traumatisée, un viol, etc.), et également une paralysie d'aborder l'autre (les moyens sont généralement limités, confinant à la solitude, l'utilisation d'internet n'est pas un résultat concluant pour des relations sérieuses).
Bon, il n'y a rien de pervers dans ce livre, désolée pour ceux dont les recherches ont conduit à cette page et espéraient un contenu plus croustillant. C'est sérieux, c'est un constat intelligent et qui pousse à revoir les idées préconçues. Etre abstinent n'est pas un signe de névrose (n'en déplaise à monsieur Freud qui affirmait que "Etre normal, c'est aimer et travailler"). L'étude de la vie sans sexe s'intéresse autant aux célibataires et aux couples mariés, c'est un grand malentendu qui est reconsidéré, un point de vue à dépoussiérer, car même si on se prétend "moderne" le constat des étiquettes est plutôt navrant. Conclusion ultime : "Il n'y a pas d'amour heureux", disait Aragon, mais il pourrait y avoir du non-sexe heureux... "Ce sont peut-être ceux qui ne le pratiquent pas qui en font rejaillir l'essence avec le plus d'éclat". .. Intéressant de bout en bout, je conseille cette lecture, agrémentée d'un cd audio sur des reportages et créations sonores pour compléter cette réflexion.
Les petits matins
- Ce livre peut faire écho à celui d'Elizabeth Abbott "Histoire universelle de la chasteté et du célibat" (Fides).