Journal_Hyde_Park_GateLes magazines de jeunesse étaient un passe-temps favori dans les familles littéraires du 19ème, il n'est donc pas surprenant que celle qui allait devenir la grande Virginia Woolf se soit également adonnée à cet exercice avec ses soeur et frère, Vanessa et Thoby. La famille Stephen logeait au 22, Hyde Park Gate dans une haute et sombre demeure. Virginia avait tout juste dix ans quand les premières chroniques de leur journal ont été rédigées, vers 1891. C'est d'ailleurs un constat flagrant de lire l'évolution des articles de ces enfants qui avaient alors dix à treize ans au commencement, le journal s'étend jusque 1895 puis s'interrompt brutalement. L'humeur de départ est assez primesautière, les enfants font le constat de leur quotidien, racontent des blagues et des devinettes, composent des poèmes. Plus ils vont grandir et plus leur regard deviendra pointu et finement acerbe sur leur environnement. Ils adoptent un style très proche de la pédanterie et du snobisme, un arrière-goût de cynisme sur les indispositions des uns ou les bavardages très creux des autres.

Il faut préciser que Le Journal de Hyde Park Gate était sous la coupe d'enfants érudits et doués pour leurs jeunes âges. On n'y trouve donc pas n'importe quoi ! Il y a une forte impression d'insouciance et de légèreté, à aucun moment les Stephen n'évoquent la mort, en dépit de certains graves événements les frappant. On a donc prétendu que la gaieté du Journal dissimulait des traumatismes d'enfance (dixit Hermione Lee, en préface). Autre chose, ce Journal se lit également comme une matière première à l'oeuvre future de Virginia Woolf, les thèmes les plus forts de ses oeuvres ont été puisés dans son enfance. Son implication acharnée dans la rédaction du Journal démontrait déjà une grande soif de reconnaissance, surtout auprès du regard de ses parents. "Plutôt astucieux, je trouve", a observé la mère, reposant le journal sans émotion apparente. Virginia souffrira toute sa vie d'écrivain de ce besoin désespéré de reconnaissance, toujours en proie aux affres de l'incertitude, malade de songer à la manière dont son travail serait accueilli par le public.. Le Journal de Hyde Park Gate a déjà pour lui : la confirmation du talent, la découverte d'une personnalité plus facétieuse, un penchant fâcheux pour épater ses parents, une espiéglerie qui dissimule toute trace de tragédie, une mise en scène perpétuelle d'un quotidien dans le style fin 19ème, les prémices d'une oeuvre à naître et l'annonce pernicieuse des démons de la mélancolie et de la dépression. Indispensable pour tous les étudiants anglicistes et les passionnés de Virginia Woolf.

Mercure de France

  • Enfoui pendant des années à la British Library à Londres, le journal de Vanessa, Thoby et Virginia Stephen a été miraculeusement retrouvé pour ce qui touche aux années 1891, 1892 et 1895. Joyeux mélange de comptes-rendus d'événements familiaux, de lettres, de rubriques de conseils, d'embryons de romans, de devinettes ou de poèmes, c'est l'œuvre de trois enfants exceptionnellement doués et cultivés, âgés de dix à treize ans, qui voulaient étonner et amuser leurs parents. On sait à quel point Virginia Woolf a été un grand écrivain de l'enfance. C'est avec beaucoup d'émotion que l'on retrouvera ici des échos de ce qui allait un jour éclore dans La promenade au phare, Les années ou Les vagues.
  • Hermione Lee, qui a préfacé Le joumal de Hyde Park Gate, est l'auteur d'une exceptionnelle biographie de Virginia Woolf. Gill Lowe a retrouvé, mis au point et annoté le manuscrit alors qu'elle faisait des recherches pour sa thèse sur Julia Stephen, la mère de Virginia Woolf, à l'université d'East Anglia.