Le coeur de l'hiver - Dominic Cooper
"Alasdair avait l'impression que sa vie venait d'être mise en déroute. Il sentait que la routine quotidienne des années avait été détruite par l'arrivée de cet étrange insensé qui paraissait ne connaître ni la peur ni le bon sens. Il se sentait injustement attaqué et harcelé; il voyait même commencer une vie dont la ruse et le secret seraient des composantes importantes. Lui, Alasdair Mor ! lui qui n'avait jamais rien caché à personne durant toutes ses années à Cragaig. Devoir ainsi commencer à se cacher et à surveiller, à attendre et à se protéger dans une guerre dure, locale... Et ainsi dans les méandres fiévreux de son esprit épuisé et tendu, les sourcils d'Alasdair se multiplièrent et proliférèrent."
Au large de cette parcelle perdue sur la côte ouest d'Ecosse, Alasdair, vieux garçon de 45 ans, vit seul dans la ferme familiale, depuis la mort de son père et le départ de son frère pour la ville. Il vit de la pêche au homard, il flâne dans la campagne à contempler les merveilles de la nature environnante, et guette l'arrivée de l'hiver qu'une violente tempête nocturne accueille. Plusieurs casiers à homard ont été endommagés, dont ceux de son nouveau voisin, An Sionnach, arrivé à Cragaig dans la plus grande indifférente hospitalité. Cet homme n'inspire aucune confiance, aucune pitié mais de la méfiance. D'ailleurs, Alasdair en fait les frais : ses casiers à homard sont pillés par Sionnach. Le début des hostilités muettes a commencé, plongeant davantage le bonhomme dans un goufre d'angoisse, de violence et d'incompréhension.
"Le coeur de l'hiver" est un roman âpre et brut, un roman où la nature étale sa beauté dans son silence et sa rigueur, c'est un roman étrangement fascinant car la narration consacre de longs et nombreux chapitres aux décors, aux aspérités de cette côte écossaise et au climat glacial dont la brise siffle comme une gifle. Les personnages sont à l'image de leur paysage, même la femme de Sionnach est décrite grande, sèche et mystérieuse, où seules les mains paraissent "bizarrement délicates pour une femme de fermier". Alasdair est fasciné par cette femme au regard pénétrant et fixe, doué d'un calme troublant. "Il se sentait secoué, déphasé; le système rigide de sa vie avait été battu en brèche. Lui, ce grand taureau, cet homme, se trouvait désarmé." La spirale de l'absurde enfle encore, depuis le vol, l'agression, l'attirance de la femme de son ennemi et la barbarie.. il règne dans le roman cette incroyable parabole où "ça pue la douceur de la destruction" ! Cette réplique m'a semblé formidable et résume l'idée du roman, sans cesse en ballottage entre le morbide et la fascination, car à la folie démoniaque s'opposent l'ignorance et la soif de vengeance. On ne s'étonnera plus que les visages des personnages prennent les traits de "bête féroce". L'idée seule de férocité s'impose d'elle-même.
Alors, déconcertant ? Non, fascinant, ensorcelant. Comme le hululement nocturne de la chouette, à la fois frissonnante et envoûtante. "Le coeur de l'hiver" est également le roman d'un pays - Cragaig - "c'était leur terre, un héritage qu'il était impossible d'échanger contre autre chose." La bataille entre son peuple et la terre, et Sionnach est cet oiseau de mauvais augure... "Le coeur de l'hiver" a obtenu le Prix Somerset Maugham 1976 et a été traduit pour la 1ère fois en français 30 ans après ! Cela permet de découvrir une plume splendide où la poésie est mise au service de la nature sauvage, du désespoir et pour la survie d'une espèce à part...
Métailié
Sophie Jabès
Il se passe une petite révolution dans ces colonnes, je vais présenter deux livres du même auteur (Sophie Jabès), rien de sensationnel pour l'instant, sauf que ce sont deux livres qui m'ont laissé un sentiment d'incompréhension, de fascination et de dégoût. Vous ne trouvez pas que ça commence à faire beaucoup pour une seule personne ? J'expose mes faits :
Alice, la saucisse : C'est vrai, quoi, c'est dommage que ce livre devienne grotesque car au début c'était plutôt "bien foutu", avec une belle écriture pour souligner toute la sensualité d'Alice, belle personne qui se préoccupe de son corps avec des crèmes et des parfums. Elle est fascinante, Alice. On ne voit qu'elle, dans la rue les garçons tournent la tête sur son passage, ils sont séduits et ne veulent qu'elle... Et puis, Alice a une discussion avec son père qui ne la trouve pas belle, au lieu de cela il lui conseille d'être "gentille" ! Alice s'effondre et se transforme. Elle mange, elle mange. Elle devient une autre, en vrai. C'est une métamorphose entre Kafka et le Truismes de Marie Darrieussecq. C'est donc à ce point crucial ou peu après que tout bascule pour le lecteur, au péril d'abdiquer, car la lecture d'Alice la saucisse s'apparente à une vilaine farce un peu dégoûtante. La nausée est proche ! Enfin, il y a une moralité dans cette histoire : être gentille avec les hommes revient à se faire manger... (A méditer).
Caroline assassine : Caroline a sept ans et souhaite tuer sa mère car elle l'empêche de lire. La vie à la maison est un enfer, coincée chez les grand-parents, entre une soeur et un frère qui vivent dans leur bulle, une mère absente et irresponsable, qui passe son temps à jouer aux cartes avec ses amies. A la maison, il ne faut pas avouer être juif, il ne faut pas lire, ni se cacher dans les toilettes pour se plonger dans Les Misérables. D'ailleurs, le pavé finit dans la cuvette des wc. En 140 pages, Sophie Jabès dresse son tableau autour d'une gamine pressée d'être instruite mais condamnée à l'ignorance. Pas idiote, Caroline observe les dérapages des siens avec un mélange de candeur et de cynisme qui dresse les poils sur les bras. C'est en gros l'histoire d'un martyr familial, avec des hauts et des bas. La lecture n'est pas franchement emballante, ni complètement mauvaise. Au contraire, et c'est là tout le problème de ce roman. Sophie Jabès avait déjà créé ce sentiment mitigé avec "Alice la saucisse" (son 1er roman). L'univers de l'auteur semble allergique aux bons sentiments, mais alors franchement hostile à la chose. Cependant, ses spectres de mauvais aloi plombent un peu l'ambiance et manquent un peu de bon goût. A méditer encore...
Il y a une bonne nouvelle car il existe un 3ème ouvrage pour boucler cette trilogie de contes romanesques où l'auteur souhaite "exploser nos tabous les plus secrets" (je crois que c'est réussi) : Clitomotrice. Le roman va paraître en format poche, l'occasion pour moi de m'y aventurer car j'avais jusqu'à présent refusé de m'y remettre ! :-) Vous en pensez quoi, vous ?
Lettres à ma fille (textes réunis par Agathe Hochberg)
Francis Scott Fitzgerald, Marie Thérèse d'Autriche, François Mauriac, Sido, Colette, Freud, Joseph de Maistre, Marie Curie, Groucho Marx, Franz Liszt, Diderot, Théophile Gautier, Madame de Sévigné, Victor Hugo, Calamity Jane, Comtesse de Ségur, Alexandre Dumas, Claude Debussy.
Qu'ont-ils en commun ? Leur fille ! Et les lettres bouleversantes que ces personnalités leur ont envoyées à différents moments de leur vie. Des correspondances souvent méconnues du grand public, véritables concentrés de génie et de sentiments. On y retrouve des relations plus ou moins affectueuses, des conseils, des intimidations, des adieux, de la force d'aimer, d'étouffer presque, ou juste la permission de s'émanciper. De couper le cordon.. bref, des preuves d'amour, envers et contre tout.
Le mot de la fin est de Bel-Gazou à propos de sa mère Colette : "Je crois qu'elle a désiré sur je sois une parfaite merveille, à tous points de vue, et d'emblée. Je l'ai bien déçue. Les enfants sont rarement des parfaites merveilles. Ils peuvent même être parfaitement désastreux. Il me semble que plus je désirais être une enfant exceptionnelle, et plus je passais à côté. Vous savez, une femme, qui a toujours été d'une exigence et d'une sévérité exceptionnelle envers soi-même, comment n'eût-elle pas montré de sévérité envers un morceau d'elle-même ?".
Mango