tranchee_d_arenbergJusqu'à présent, il ne m'était jamais venu à l'esprit que le sport pouvait être considérée comme une discipline "voluptueuse", ainsi semble le suggérer ce cher Philippe Delerm qui livre en cru 2007 un nouveau recueil de petits textes, dont lui seul a le savoir, l'art et la manière.

"La tranchée d'Arenberg et autres voluptés sportives" est la nouvelle signature de l'écrivain qui dédie à sa passion un hommage à vous rendre béat d'admiration, non mais c'est impensable d'avoir cette culture du Sport en général et de savoir si parfaitement la travailler et la mettre en avant, la rendre si limpide et pleine de grâce. Moi qui pensais ne trouver aucune élégance dans une paire de baskets, un justaucorps ou un simple survêtement, je remballe sur le champ mes mauvaises pensées.

Oui, c'est aussi vrai que je suis une grande lectrice fidèle des écrits de Philippe Delerm, que chacune de ses nouvelles productions rencontre entre mes mains et à mes yeux une clémence dont on peut douter de l'objectivité... Soit !

N'empêche que c'est juste quand j'affirme qu'il y a dans ce livre une finesse remarquable, que ce n'est pas simplement un aveuglement bête et inepte d'une amoureuse passionnée. Pour preuve de mon honnêteté, je reconnais que parmi les 49 textes il se trouve quelques-uns dont l'intérêt n'est pas folichon, mais dans l'ensemble c'est excusable, cela se noie dans la masse, et puis c'est digeste à encaisser, étant donné que chaque texte fait une ou deux pages, en 110 pages de livre ... le tour de piste peut s'accomplir en deux vitesses : un sprint, par gourmandise, ou une course de fond, pour savourer. Au choix !

Ce qu'il y a dans ce livre, c'est cette immersion totale dans les émotions de l'auteur, ou le goût de la nostalgie, l'impression vivace de vivre des moments forts, à jamais marqués dans l'anthologie du sport. Et c'est frappant comme la culture est grande, tous les domaines du sport sont évoqués, à de très rares exceptions (et encore, lesquelles ?!), jusqu'à des souvenirs plus personnels de l'auteur.

Au programme : la balle de match de Forget contre Sampras pour la Coupe Davis, les Reds de Liverpool avec Steven Gerrard, "You'll never walk alone", Séville 1982, Battiston couché et Platini bouleversé,

A la cinquante-sixième minute de la demi-finale Allemagne-France meurt la France de Poulidor, celle où le coeur bat plus fort pour celui qui perd en beauté. On n'ira jamais plus loin dans la tristesse que ce soir-là, alors...

les titres de l'Equipe, les coups de maître de Zidane,

Combien de joueurs laissent-ils ainsi une trace non seulement dans les mémoires, mais aussi dans les gestes ? Bien sûr, Pelé, Maradonna ou Platini ont eu leurs coups de génie, liés à des séquences de jeu qu'on rediffuse à l'envi. Mais pour Zidane, c'est différent. Il a laissé l'exploit, mais aussi un mode d'emploi, une possibilité de s'inspirer de lui pour essayer de reproduire. Son tutoiement avec la balle peut se détacher syllabe par syllabe, comme un manuel de lecture du cours préparatoire, quand on a renoncé à la méthode globale. Des coups de maître.

le coup de fouet pour Armstrong,

... celui-là n'aura pas été le premier à triompher par le dopage, mais il l'aura fait avec une froideur de despote, liée à une désagréable utilisation médiatique de son cancer pour faire vibrer la corde sensible.

le multiplex,

Tout ce cérémonial de voix apoplectiques, d'engouements pathétiques pour célébrer le presque prévisible, le tout à fait infime...

Vikash Dhorassoo l'éternel incompris,

... je l'imagine bien drapé dans un sari, au bord du Gange, silencieux, retiré, laissant couler le flot de l'incompréhension. Il est très beau mais différent, un peu à côté du monde du football.

le football de la mélancolie, la mort de Colette Besson,

L'incarnation d'une forme de pureté, une de ces personnalités auxquelles on se raccroche pour croire au sport, avec en mémoire l'intégrité d'une longue ligne droite à Mexico où Colette remontait toutes ses adversaires, sans dopage, sans fric en perspective, sans même une titularisation dans l'enseignement.

le match Lendl contre Chang, la fameuse tranchée d'Arenberg,

... une bouffée de belgitude où dormiraient des connotations germaniques. Le râpement dans le gosier a des arrière-goûts de bière, de no man's land guerrier. Les commentateurs n'ont pas besoin d'en rajouter : "Dans dix kilomètres, nous serons dans la tranchée d'Arenberg !"  Fini de rire.

Et l'on découvre ainsi avec Philippe Delerm que le sport, c'est beau et aussi tragique ! ...  Un monde à part, insoupçonné.

Le sport, c'était ce qu'on n'expliquerait pas en classe, et devenait du coup si désirable. Un monde pour moi seul. Des mythes à enfourcher, à amplifier au creux de soi. Des silhouettes en noir et blanc, des phrases. La gloire et la tristesse. Toute la vie devant pour aimer ça.

Panama