Boléro - Michèle Lesbre
Cela commence ainsi : "J'avais découvert cet hôtel par hasard, un jour de pluie, en automne. Il paraissait abriter les bonheurs les plus insensés, protéger un peu de la vie ordinaire. Tout à l'heure j'y suis entrée seule, prétendant m'appeler Roslyn Taber sans que la femme à l'accueil parût surprise." Oui, car Roslyn Taber est en fait le personnage interprété par Marilyn dans Les Désaxés. C'est ainsi que j'ai plongé instantanément en état de grâce, savourant page après page la plume de Michèle Lesbre qui nous raconte une histoire de souvenirs ressassés à la suite d'une lettre reçue, un courrier qui lui vient de loin, d'une campagne où Emma, la narratrice, avait passé un été fabuleux chez Gisèle, l'ancienne voisine de ses parents à Paris. Au cours de cet été, la jeune fille avait fait la connaissance de Fred et Paul, deux amis amoureux qui s'amusaient à refaire une version enjouée de Jules et Jim. Cet été-là aussi, Emma suivait Gisèle au Trianon pour voir tous les vieux Classiques du cinéma hollywoodien, Gary Cooper, Claudette Colbert, Rita Hayworth, Marilyn, bref du beau linge...
En même temps qu'Emma se rend à son entretien professionnel, auquel elle attache peu d'importance et de motivation, elle revit les instants sacrés de cet été à la campagne, de ses nuits inoubliables que le "Boléro" de Ravel a ponctuées. Avec ses fantômes aux trousses, Emma court dans la ville pluvieuse, hésite à ouvrir sa lettre, enrage de découvrir l'emménagement d'un voisin au 6ème étage, repense à son amant parti en Italie, enfile sa robe de taffetas couleur amande, finit dans un hôtel et rencontre un pianiste.
Ce roman a eu pour moi des échos incroyables, bouleversants, avec des passages inouis sur le cinéma des années glorieuses. Mais il n'y a pas que les paillettes, il y a des moments graves, la guerre d'Algérie, les larmes, les pertes, et toujours ce "Boléro" qui se faufile comme "une petite douleur familière, insidieuse et têtue". J'ai honnêtement savouré ce roman, je l'ai trouvé beau, magique et intime. Et j'apprécie beaucoup le style de Michèle Lesbre pour dire l'indicible, comme dans son roman "La petite trotteuse".
Sabine Wespieser