L'idée ~ Stéphane Jougla
Paru en 2003, ce premier roman de Stéphane Jougla annonçait déjà haut la couleur ! Car il semble évident que l'auteur aime particulièrement broder autour des termes de la folie, des hallucinations et des délires fantasmagoriques, cf. son nouveau livre "Portrait d'une absente".
"L'idée" donne la parole à Jeannot, onze ans, qui trouve une maison morte en rentrant de l'école. Plus de trace de maman, juste la chambre des parents sens dessus-dessous. Maman est partie, mais papa ne dit rien, n'en parle pas, alors Jeannot se tait aussi. Mais de son silence, il va broder l'idée, celle d'être tué par son père ! Pour échapper à ce crime qu'il pense inéluctable, Jeannot guette les moindres faits et gestes du père, s'empêche de dormir la nuit, se réveille surpris d'être toujours en vie au matin, rêve éveillé en classe, pense à sa mère, voit la vision d'une silhouette en robe blanche... Bref, Jeannot extrapole. Il a décidé de ne plus parler mais d'écrire dans son cahier une sorte de journal. Jeannot se pense fou, très vite. Ou il use de cette jolie expression "un garçon plein d'idées folles, un enfant fou d'idées".
En clair, "L'idée" est un roman rempli de fantasmes, d'idées folles que l'imagination fertile d'un enfant met en route. Il y croit dur comme fer, il craint son père, se crée des instants pour chasser sa peur mais toujours l'idée revient au galop. Un roman troublant de perplexité. Une histoire de chagrin refoulé et de délires de gosse. Tour à tour sensible, touchant mais un peu trop complexe.
lu en février 2005
La chatte sur un toit brûlant
Père Chéri rentre chez lui après des résultats d'analyses médicales que tous pensent satisfaisantes. La famille est réunie pour célébrer son 65eme anniversaire. Mais au coeur de cette maison, les tensions sont multiples : à l'étage, Brick, ancien joueur de foot vedette, se noie dans l'alcool, tourmenté par le suicide de son meilleur ami. Il noie aussi son mariage avec la brûlante Maggie The Cat - "la chatte sur un toit brûlant". Celle-ci espère sauver son mariage, reconquérir son mari qui la rejette. Dans la chambre voisine, il y a le frère aîné de Brick et son épouse, qui espionnent et complotent pour l'héritage, parents d'une tribu nombreuse, espiègles et sournois.
Alors que tous semblent se réjouir du retour de Père Chéri, de sa bonne santé, le médecin apprend à Brick, plâtré au pied suite à une mauvaise chute, que son père est mourant. Brick décide de partir de la maison, quitter son épouse mais affronte son père. Les démons doivent être expurgés, chacun devant se débattre de leurs mensonges. En une soirée, dans cette Amérique sudiste des années 50, par un temps anormalement chaud et orageux, c'est au sein même de la grande demeure de Père Chéri que les éclairs vont tomber !
CAT ON A HOT TIN ROOF est une fidèle et intelligente adaptation de la pièce de Tennessee Williams. Film de 1958, il n'a vraiment pris aucune ride ! Vêtue de blanc, Elizabeth Taylor explose de sensualité, de suavité & de rage. Femme bafouée, femme amoureuse, elle défend cette passion de manière admirable et bouleversante. A ses côtés, Paul Newman broie ses idées noires, déchu, dégoûté, cynique et railleur. Son tête-à-tête avec son père (Burl Ives) est l'un des moments les plus intenses. Ce même Burl Ives est imposant, tonitruant et émouvant dans son vacillement.
Un film d'une très grande intensité avec des rôles inoubliables ! L'allusion à l'homosexualité de Brick demeure toutefois très ambivalente, mais bon... Vraiment un inconditionnel à posséder, voir et revoir !
vu en février 2005
The curious incident of the dog in the night time ~ Mark Haddon
J'ai été très touchée par le jeune Christopher Boone, héros du roman de Mark Haddon. J'avais très envie de lui prendre la main, de l'aider dans sa quête, surtout lorsqu'il décide de partir pour Londres - une épopée qui lui semble digne d'un film de science-fiction, assez drôle parfois !
Christopher a quinze ans, c'est un garçon qu'on dit "spécial", différent des autres, doué d'une intelligence hors norme, mais déconnecté des réalités dites terre-à-terre. Sur ce plan, chapeau à l'auteur d'avoir su si bien se mettre dans la peau d'un jeune autiste, de démontrer toute la complexité de son raisonnement, de sa logique, de ses craintes et ses enseignements. C'est terriblement subtil, ça ne tient souvent qu'à un fil de le considérer comme un enfant ordinaire, sauf qu'il ne faut pas le toucher ou il se met à crier, qu'il ne répond qu'aux questions, jamais aux affirmations, qu'il ne plonge jamais son regard dans les yeux de son interlocuteur, etc...
Chez lui, son cerveau fonctionne comme un ordinateur, comme une mémoire photographique. Il imprime ce qu'on lui dit, ce qu'on lui montre, toutefois il n'est pas dénué de bon sens, comme lorsqu'il s'aperçoit que le vendeur indien le roule dans la farine en lui vendant le guide de la ville.
Christopher est donc très attachant. Son histoire commence banalement, lorsqu'il découvre le corps du caniche mort. C'est Wellington, le chien de la voisine. Et lui décide de mener son enquête comme Sherlock Holmes, son héros. Hélas, c'est le début d'une série de catastrophes pour lui.
C'est vrai qu'on peut distinguer deux parties dans le roman, et la première est excellente. On suit pas à pas les réflexions du garçon, c'est très important. Car cela montre avec quelle façon mathématique il cherche à raisonner, que ce soit dans son quotidien, son enquête ou à l'école. C'est très grisant et attachant. Lorsque la machine s'emballe, dans ce qu'on peut appeler la seconde partie, Christopher révèle ses failles, la difficulté d'élever un enfant autiste et la fine psychologie à adopter pour gagner sa confiance.
C'est donc un roman éblouissant, à la fois drôle, touchant, grave et sensible. Le petit monde de Christopher est très attachant, et à la longue on n'a qu'une envie, vouloir sans cesse le protéger, quitte à commettre des bêtises... C'est juste un peu dommage pour la fin expéditive, ceci ne nuisant pas à l'enthousiasme qu'inspire cette lecture !
lu en février 2005
La berlue - Véronique Beucler
Forcément, quand on découvre une 4ème de couverture de ce style : "Si au hasard d'une vitrine de librairie vous découvriez le roman que vous venez d'écrire sous un nom qui n'est pas le vôtre, que penseriez-vous d'autre sinon que vous avez la berlue ?", vous foncez tête première vers ce livre alléchant !
Cependant, j'invite à davantage de retenue (une qualité dont je ne peux pas du tout me vanter !). "La Berlue" de Véronique Beucler commence ainsi : Perrine sort d'une librairie où elle vient de faire l'achat du premier roman de Pierre Mérand. Dans la rue, elle est bousculée par des garçons et reçoit bien involontairement une lame de couteau dans le ventre !...
Perrine est une scribouillarde aspirant à la publication de ses écrits, aussi la lecture des livres de Mérand la confond car elle a cette impression étrange de retrouver chez lui ce qu'elle-même griffonne dans ses manuscrits boudés par les éditeurs.
Au bout du 3ème roman, la confusion n'a plus lieu d'être et Perrine est persuadée d'être flouée par l'écrivain !
Comment cela est-il possible ? Elle est assurée de protéger ce qu'elle écrit, d'où proviennent les fuites ?
La suite des aventures de Perrine, professeur de français dans la banlieue de Bordeaux, n'est pas exempte d'humour cocasse, d'ironie tendre et amère, force l'étonnement et l'envie de savoir le fin mot de toutes ces énigmes (elles seront de plus en plus nombreuses et incroyables).
Ce que Perrine écrit, Mérand publie. Or ces deux-là ne se connaissent ni d'Eve ni d'Adam. Quelle anguille sous roche se niche dans cette histoire tordue, et qui frise le loufoque dans certains passages ? Oui, un peu hélas, j'avoue m'être un peu pincée les lèvres devant les explications un peu confuses, un peu lourdes. Pourtant l'idée est particulièrement originale. L'auteur s'attaque à la sacro-sainte idée de création littéraire, du sentiment de paternité d'une oeuvre et du désespoir des éditeurs à être floués dans leur campagne à grands éclats.
Le personnage de Perrine est sans équivoque, tout en charme et simplicité, d'une grande lucidité doublée d'une gentillesse exemplaire. Quand Véronique Beucler se penche sur son cas, j'avais instinctivement le goût de Colette derrière les mots, le ton, le style : "Elle vouait une passion d'enfant aux pivoines, aux fraises et aux cerises qu'elle soignait dans son jardin de curé.", le jardin de Perrine soulève des regards d'enchantement, son intérieur est un cocon qui saisit d'admiration, d'autant plus époustouflant de la part de "cette femme de rien du tout" (là ce sont les yeux de l'éditeur parisien qui s'expriment !).
Impeccable pour sa peinture des personnages, le roman est plus dispersé sur le fond, et la fin finit comme un "couac". Très belle écriture, aucun doute.
Albin Michel