Le procès (1962)
Monsieur Ladmiral va bientôt mourir ~ Pierre Post
Paru en 1945, "Monsieur Ladmiral va bientôt mourir" est un roman avant-gardiste célébré par son auteur, Pierre Bost, décrit comme un "peintre de l'âme", à l'instar de Proust. Peintre, son personnage central, Monsieur Ladmiral, l'est également, mais retiré en pleine campagne, désormais veuf, âgé de soixante-seize ans, clamant à tue-tête qu'il va bientôt mourir. Et donc, chaque dimanche, il reçoit la sacro-sainte visite de son fils Gonzague, rebaptisé Edouard depuis son mariage avec la très plate Marie-Thérèse, parents de trois enfants. Ce rituel gonfle un peu Monsieur Ladmiral, car rien ne transige aux règles strictes de Gonzague, s'appliquant à ne jamais laisser seul son vieux père. Or, celui-ci ne peut s'empêcher de railler en pensée ce loyalisme un peu surfait. Lui, en fait, souhaiterait recevoir davantage la visite de sa fille chérie, Irène, l'opposée de son frère ! Autoritaire, fantasque et décidée, la jeune femme est un coup de vent. Elle tient boutique à Paris, vit seule, entretient quelques liaisons secrètes... et pourtant Monsieur Ladmiral l'adore !
Très insidieusement dans le récit, on s'aperçoit avec délectation de l'ironie distillée avec ingéniosité ! Tour à tour confesseur des pensées de chacun, on partage l'acrimonie, la jalousie, les non-dits, les envies, on lit la lassitude, la reconnaissance inespérée, l'égoïsme de l'un et l'autre, le tout résumé de manière claire et définitive par la pensée des garçons (cf. page 27) ! Et puis le texte se ponctue sournoisement, les derniers mots de Monsieur Ladmiral sont féroces. Et de refermer ce petit livre, le sourire aux lèvres.(Bertrand Tavernier en a fait un film, sous le titre d' "Un dimanche à la campagne", en 1984.)
lu en février 2006
Un amour de pluie (1973)
Comme chaque année, Elizabeth et sa fille Cécile âgée de 15 ans passent leurs vacances à Vittel. Elizabeth fait la connaissance d'un étrange Italien, Giovanni dont elle tombe sous le charme, tandis que Cécile tombe amoureuse de Georges, l'apprenti cuisinier de l'hôtel.
Romy Schneider incarne cette femme de près de 40 ans, qui se sent seule et qui succombe à cette histoire éphémère mais passionnelle. C'est peut-être là sa dernière véritable histoire d'amour, elle s'y donne avec surprise, enthousiasme et ne mesure pas ses élans. Elle tente de préserver sa fille adolescente qui pourtant n'est pas dupe. Celle-ci s'est entichée d'un jeune homme de 17 ans et lui fait promettre de ne pas reproduire les amours de leurs aînés, de ne pas se mentir et d'être sincères. La fin brutale de la liaison de sa mère coupe court celle de l'adolescente, et pourtant ces deux-là semblent avoir gagné une nouvelle complicité durant cet été bien différent des précédents...
Toujours magistrale, superbe et resplendissante, Romy ne lésine pas sur ses efforts à interpréter Elizabeth. Le pari semblait risqué, car Romy sort du tournage du "Train" où elle a eu le coup de foudre pour JL Trintignant. En se présentant auprès de son grand ami Jean-Claude Brialy, réalisateur de cet Amour de Pluie, elle lui tombe dans les bras en pleurs. Coeur brisé, début de dépression, remise en doute perpétuelle... Romy entre dans une phase où l'incertitude la guette, rongée aussi par le temps qui passe, soucieuse de sa beauté qui se fâne (et pourtant ! comme elle demeure belle, silhouette vêtue tout de blanc dans ce film, sauf exception une robe de soirée noire). Cette scène en robe noire la dévoile merveilleuse et pleine de grâce : elle a un peu trop bu, suit son amant et tourbillonne dans ses bras...
Parce que ce film bénéficie de la présence radieuse d'une Romy Schneider fidèle en amitié (Brialy et elle se sont croisés sur le tournage de "Christine"), "Un amour de pluie" gagne à être vu pour se ravir de son interprétation toujours juste, teintée de sensualité et de douceur. Pourtant, à bien y regarder, le film a une histoire peu consistante et les images commencent à dater. Le choix des partenaires n'est pas à la hauteur de la prestation de Romy Schneider (l'acteur italien, bof & la jeune adolescente, bêcheuse). Seule Suzanne Flon sauve la mise ! Il y a aussi une belle scène cocasse où le personnage de Romy rembarre avec espièglerie un dragueur joué par ... Brialy !
Un amour de pluie, film de Jean-Claude Brialy (1973) - avec Romy Schneider, Nino Castelnuovo, Mehdi, Bénédicte Bucher et Suzanne Flon.
Une femme à sa fenêtre (1976)
Rico et Margot Santorini ne s'aiment plus. Lui, play-boy vaguement diplomate, collectionne les aventures féminines; Margot, belle, riche, courtisée, est dans l'attente d'un grand amour. En cette année 1936, le monde décadent et sans âme de la grande bourgeoisie grecque n'offre guère d'occasions de vivre intensément comme le souhaiterait la romanesque Margot, qui cache sa véritable nature sous un masque de cynisme et de frivolité. Cette chaude nuit d'août au cours de laquelle, de sa fenêtre, Margot est le témoin d'une chasse à l'homme, va bouleverser la destinée de la jeune femme.
Adapté du roman de Pierre Drieu de La Rochelle, avec des dialogues signés de Jorge Semprun, "Une femme à sa fenêtre" est incontestablement un film "classique" dans le sens strict du terme. Ambiance, jeu des acteurs, histoire nonchalante, etc. Romy Schneider y balade sa silhouette gracile et non dénuée de sensualité, toujours impeccable et élégante, mais lointaine. Elle interprète une riche bourgeoise qui plonge dans la tourmente de l'Histoire pour suivre l'homme qu'elle aime, un révolutionnaire pétri du dogme marxiste (incarné par Victor Lanoux, trop bourru pour la circonstance).
Une nouvelle fois, Romy est très proche de son personnage de Margot. Les deux femmes se ressemblent jusqu'à parfois se confondre. Même caractère entier, même soif d'absolu, mêmes cicatrices indélébiles... Les paroles de Margot résonnent tel un écho chez Romy Schneider, ses rêves appellent son propre destin. Dans ce film, elle interprète également la fille de Margot qui retourne en Grèce sur les traces de ses parents pour connaître leur histoire. A ce propos, la mise en scène est impeccable, il y a des flash-backs, des allées et venues entre le passé et le présent. On comprend peu à peu ce qui pousse Romy Schneider à délaisser son mari, interprété par Umberto Orsini, pour tomber dans les bras de Victor Lanoux. La fin apporte vraiment une touche essentielle à l'histoire, lui donnant une profondeur qui avait tendance à faire défaut.
Car hélas, même si l'histoire sur le papier est terriblement passionnante, attirante et intriguante, sur la pellicule l'atmosphère manque un peu de cette flamboyance. Il y a un côté un peu trop précieux qui rend le film froid et statique. Voir, parfois embrouillé. Tout était pourtant réuni pour un film envoûtant, l'effet obtenu tient toujours par le jeu et la présence de Romy Schneider. Mais "Une femme à sa fenêtre" a des qualités et des défauts, heureusement les dernières notes du film s'emballent et raccrochent l'intérêt du spectateur. A noter aussi un pilier de choix, Philippe Noiret, à qui on ne peut décidément rien reprocher !
Une femme à sa fenêtre, film de Pierre Granier-Deferre (1976) avec Romy Schneider, Philippe Noiret, Victor Lanoux & Umberto Orsini.
J'aide les taupes à traverser - Jean Louis Ughetto
Je ne me souviens plus pourquoi j'ai voulu lire ce livre, même si je reconnais au titre une accroche porteuse et qui invite à ouvrir cette galette brune sur le champ... Que peut cacher "J'aide les taupes à traverser" ? Des séquelles, pourquoi pas des nouvelles ?
J'aime beaucoup la définition de l'auteur : "Pour moi, la nouvelle est un genre littéraire à part entière pas un marchepied permettant d'accéder au roman. Le fait d'écrire des textes courts est un choix, la concision me paraît une vertu, d'ailleurs je ne sais pas faire long même pour une dédicace." Cela permet de rendre quelques lettres de noblesse à ce genre trop souvent boudé et à qui on reproche une légitime frustration !
Il y a donc 12 textes qui "traitent de l'adolescence ou de la maturité, des inventions du désir et ses multiples dérapages. Des personnages passent, hésitent, désorientés par la rudesse des rencontres et leur propre incapacité à décoder le regard d'autrui. Entre plaisir de la causticité et art de la concision, on retrouve les acteurs - sceptiques et crédules, cyniques et sentimentaux - de ces mini-drames, à jamais ancrés dans leurs contradictions." (4ème de couverture)
Il y a un petit goût fumeux derrière ces séquelles, une tendance à plonger dans le borderline, à filer un petit goût de bile au fond du palais. J'avoue, j'ai eu des doutes. J'ai aimé le style tonique, l'imagination fébrile et les coups de théâtre percutants, mais d'un autre côté quelques passages me donnaient la nausée... Un peu suspect, tout ça. Mais bon, c'est aussi une griffe qui fait son effet donc ce n'est pas mauvais dans le fond. Et ça promet même de susciter la curiosité !
La chambre d'échos
Un bras dedans, un bras dehors - Emmanuelle Peslerbe
Dans l'appartement d'Elisa Pratte, sévit un dégât des eaux. Elle attend la visite d'un expert en assurances, qui se présente sous le nom de Philippe Dumont. Or, la personne en face d'Elisa a les traits d'une femme, porte une jupe, bref la confusion n'est pas possible et éveille le trouble chez Elisa.
Elle décide d'adresser un courrier à ce Monsieur Dumont pour partager son émotion et sa solidarité vers l'envie de transformation, mais ce dernier lui répond qu'elle est cinglée, qu'elle se trompe haut et fort.
Toutefois l'idée a fait son chemin, dans la tête et l'imagination des deux personnages. La suite du roman prend la tournure d'une campagne de conquête de l'autre et de soi, "réfléchir, se réfléchir tel qu'on se voit dans son miroir intérieur, être au plus près possible d'une réalité ressentie, voilà ce qui me semble être la quête de tous ceux qui ne se ressemblent pas, de tous ceux qui pensent qu'il est une évidence : le miroir ment".
"Un bras dedans, un bras dehors" est le 1er roman d'Emmanuelle Peslerbe, un roman déconcertant. Je n'ai pas foncièrement adhéré à l'histoire en général, mais l'idée d'un mirage acoquinée à une situation de quiproquo était séduisante.
Le thème de l'androgynie rappelle le roman de Virginia Woolf, "Orlando", même si Emmanuelle Peslerbe adopte d'emblée un ton et un univers bien à elle. On suit à la fois son héroïne, Elisa Pratte, jeune femme insaisissable, peintre à ses heures et à l'imagination débordante, et d'un autre côté Philippe Dumont, employé modèle, marié, des activités à la pelle pour remplir ses journées... Or, il faut croire que l'ennui pointe son nez car le courrier d'Elisa lui donne la clé des champs, l'invite à déborder de ses sentiers battus et emprunte la voie du fantasme.
Emmanuelle Peslerbe a une très jolie écriture qui laisse planer le doute. Son choix d'être concise et de laisser la porte ouverte aux pointillés renforce le sentiment de polir les angles, de ne donner aucune solution, d'introduire le doute... L'imagination mérite son appellation de "folle du logis" dans cette histoire pour adultes qui s'ennuient.
Ce 1er roman en appelle d'autres, car même si j'ai trouvé l'histoire nébuleuse, avec des passages abscons, le style et l'univers de l'auteur gagnent à être retrouvés, redécouverts. A suivre...
Editions du Rouergue