02/03/07

Le sourire de l'ange ~ Emilie Frèche

"L'opération consiste à coincer sa victime. La neutraliser. Le geste est délicat, le 'poisson' ne doit pas gigoter. Une fois l'individu bien calé -contre un mur ou une voiture-, il suffit de lui inciser les commissures des lèvres à l'aide d'un cutter. Les entailles n'ont pas besoin d'être larges, elles doivent être profondes. Le sang coule. L'ange entrevoit ce qu'il lui arrive, son visage se crispe. Il faut alors être rapide, efficace, tenir un demi-citron à portée de main. (...) Sur la chair à vif, de l'acide! L'ange hurle, déchire le silence, ouvre grand sa gueule... malheur à lui! "

Loin d'être angélique, "Le sourire de l'ange" résume cette barbarie pratiquée dans la cité de la banlieue de Mulhouse, là où vient d'atterir Joseph Vidal, jeune adolescent orphelin de ses deux parents. Il débarque de Tel Aviv, il débarque chez son grand-père qu'il ne connaît pas. "Je savais qu'il était communiste, que sa femme était morte en couches, le laissant seul pour élever ma mère, qu'il vivait dans un coin de la France où il fait toujours froid." Ce grand-père qui a renié la mère de Joseph, laquelle a pris la fuite en Israël où elle s'est mariée et a fondé une famille. Et puis, ses parents meurent tragiquement, brusquement. Le jeune Joseph est envoyé en France. Premier pas dans un coin de France gris, glacial et impitoyable: une cité d'hlm prête à exploser, un petit univers où les conflits israelo-palestiniens exacerbent les passions et les castes, à en remplir tristement et platement les colonnes des faits divers.
Là, Joseph débarque, jeune juif, mais avant tout israélien dans la peau. Encore marqué par son déracinement, il entre au lycée sous une autre identité: Joseph devient Pierre, c'est mieux ainsi, pense son grand-père. Il fait la connaissance des jumeaux Mélik et Leila, tous deux musulmans, et sur un malentendu leur amitié se noue. Trop tard pour reculer, trop tard pour avouer, Joseph est pris au piège, il le pressent. "Un juif peut-il être ami avec un arabe?"
Lui veut y croire. Mais dans cette banlieue de l'est de la France, la communauté musulmane prend parti contre la communauté juive, responsable aujourd'hui des crimes atroces perpétrés en Palestine, "contre leurs frères". Le malaise va monter. Et l'amour aussi.
Leila et Joseph : une histoire impossible?...

Les événements vont enfler, la vague de haine va avaler toute cette communauté. Joseph expose les faits: la lente montée de l'antisémitisme en France, qu'on refuse d'admettre et de défendre, la révolte des immigrés musulmans contre le système qui a refusé l'intégration de leurs parents et qui demande à ces enfants aujourd'hui de faire partie du système. Les événements d'ailleurs qu'on transporte dans ces cités construites sur de la dynamite et qui, bien entendu, s'enflamment, lynchent et accusent les victimes d'hier transformés en bourreaux désormais...
Mais qu'en savent-ils tous, semble se poser Joseph. Lui transpose la réalité de Tel Aviv, témoin écorché et victime condamnée à l'avance. La réalité d'ici et de là-bas, c'est du pareil au même ?...

Emilie Frèche signe un roman grave et tragique, "un roman d'apprentissage qui éclaire un problème de société avec subtilité". En complément de vos manuels d'histoire, n'hésitez pas lire "Le sourire de l'ange". Emouvant, vrai et sensible.

mars 2004

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Dix Mille : Autobiographie d'un livre ~ Andrea Kerbaker

N'avez-vous jamais imaginé un livre avec une âme, des pensées et des réflexions ?.. Lisez "Dix mille" d'Andrea Kerbaker et vous regarderez vos livres différemment ! Dans ce livre trop court, un livre prend la parole, sur une étagère d'un bouquiniste, frissonnant à l'idée d'être en sursis car la libraire envoie les invendus "au pilon" ! Terrorisé de finir recyclé, emballage d'un médicament au pire, il prie ardemment qu'un Numéro Quatre ouvre la porte, glisse le doigt sur son étagère et s'empare de lui. Le Numéro Quatre, c'est l'éventuel propriétaire qui le sauvera de l'incinérateur ou de la décharge. Il aimerait bien une femme, ça le changerait... et de se souvenir des trois précédents propriétaires. Non sans quelque émotion, colère ou incompréhension.

"Dix mille" nous ouvre les portes vers un imaginaire jusque là encore vierge : la vie des livres, leur intimité, la connivence entre eux, les amitié avec Steinbeck ou Hemingway, le destin du livre qui sort de presse et atterrit dans la vitrine d'une librairie. Confiné dans un carton, prenant la poussière au fin fond de la boutique, ses pages jaunissant sur une étagère pour "acquisitions de seconde main", le livre raconte un parcours que le lecteur n'a pas conscience. En fermant donc ce petit livre, on lui caresse la couverture, un sourire aux lèvres et on le dépose dans un écrin de velours. Votre livre a des yeux, des oreilles ! votre livre est télépathe !

lu en mars 2005

Posté par clarabel76 à 13:51:00 - - Commentaires [0] - Permalien [#]

Vieilles peaux - Anna Rozen

vieilles_peauxCressida Bloom est écrivain. Au bord de la soixantaine, forte de ses succès, elle commence à songer à la postérité. Il lui faut trouver dès à présent un passeur de mémoire, un archiviste pour classer tous ses carnets, un dépositaire de ses écrits, une personne de confiance. Le casting est lancé. Cressida est exigeante, sélectionne avec ardeur les candidats (que des hommes, jeunes, plutôt intelligents, au physique agréable) mais n'est pourtant pas récompensée de ses tris. Elle biffe, triture, marmonne, fait trois pas en arrière, se fourvoie. Les candidats ne lui apportent qu'une nouvelle source d'angoisse et de remise en question. Que diable !... On se gausse de cette "vieille peau" excentrique (vous avez dit "vieille peau" ?) en pensant très fort aux auteurs britanniques à l'humour pincé et poilant (cf. PG Wodehouse, Saki, etc.).

Changement de registre avec l'histoire intitulée "Marthe et Fernand" qui décrit le quotidien d'un couple marié depuis une quarantaine d'années, acteur de leur propre mise en scène réglée au millimètre près. C'est un portrait qui donne le frisson. Moi j'y ai reconnu mes parents et, quelque part, cela m'a fait de la peine. D'ailleurs, l'auteur a certainement pressenti "le flip du pathos" car elle termine avec prestidigitation son histoire sur un numéro pour rire jaune. Un cercle invisible est en place, le couple tue l'amour, dit-on. Et si toute jeune épouse est vouée à la destinée de "veille peau", vous en pensez quoi ? Sauve qui peut ! ?

Pour boucler ce livre hors normes, Anna Rozen décide de s'atteler à un exercice de style un peu déconcertant... "C'est à vous que j'écris, oui, vous. Voilà ce qui ne va pas : je ne suis pas moi. Je ne suis jamais moi. Je vous écris, je me démène, mais ça n'est pas moi." Qui est-elle donc, alors ? Une fille qui pleure dans le métro, un chat perdu sur les affiches placardées aux arbres, une employée de bureau, une postière, une fille grosse, une gravure de mode, une sandale neuve, un paréo rose, une baguette tradition, une fan perdue, un auteur reconnu, l'odeur de Colette, Françoise Sagan ou A.L. Kennedy brisant du sucre dans sa cuisine... Il y a une succession de chapitres courts sur les pérégrinations de l'auteur, "mais au bout de cinquante pages de folle envolée, les histoires que j'écris m'embêtent". Oui, un peu. Cette dernière partie est à lire à petites doses, en picorant ci ou là toutes ces peaux mortes. Parce que, finalement, on en revient toujours là, à cette histoire de "peau", celle qui nous couvre, qui nous camoufle, les peaux neuves, les vieilles peaux... nous sommes toutes à la même enseigne : que des toquées ! :)

Le Dilettante,  2007 - 224 pages.

On en parle aussi : chez Cuné et sur le Buzz Littéraire

  • Autre livre de l'auteur : Méfie-toi des fruits

La narratrice, sans nom, a un mari, un amant et un ex. Drame : elle souhaite avoir un enfant avec l'amant, au grand mefie_toi_des_fruitsdam de l'ex et dans le dos du mari. Mais elle rêve d'une osmose idyllique entre son amant, son homme et tous ceux qui comptent dans sa vie. Hum, hum...! Et s'ajoute sans oublier un électron libre, Louis, le correspondant sans visage, mais qu'elle refuse de rencontrer. Car elle se dit "esclave" de ses désirs, fulgurants, omniprésents et envahissants !

Bref, cela donne un joyeux melting-pot et un mélange savoureux et très original sur la théorie du Prince Charmant. Oui, tout ça pour ça - en conclusion. La fin est plus qu'hâtive, c'est franchement décevant. Jusqu'alors le roman était pétillant, donnait un ton fantasque et neuf. L'idée autour de prince charmant inexistant n'est pas nouvelle, mais Anna Rozen avait réussi à la présenter de manière différente, un rien excentrique. J'étais étonnament charmée par son bric-à-brac d'histoire, de romance, de nota bene de l'auteur herself, et des gens autour. C'était nouveau et pourtant la fin a un goût de va-que-je-te-pousse-vers-la-sortie. Dommage. (Le dilettante, 2002)

Posté par clarabel76 à 07:30:00 - - Commentaires [20] - Permalien [#]