05/03/07

La première marche - Isabelle Minière

premiere_marcheCela commence par une histoire de photographie. La petite demande à sa mère un cliché d'elle pour une surprise à l'école, elle l'obtient et se réfugie sur une marche de l'escalier pour admirer et embrasser cette photo, à l'abri des regards noirs et de la voix dure. Oui, la mère n'est pas commode, elle est parfois gentille, mais elle est très sévère.
C'est bien simple, la petite ne sait plus comment s'y prendre pour attirer un sourire, une amabilité, une tendresse. Quand survient le passage de l'orange, cadeau du ciel, la petite est au bord de tomber en apoplexie. C'est dire !...

Le temps passe, mollement. La petite est exaspérée des mimiques de son petit frère, le mignon de la famille, qui fait diversion avec ses singeries, et pourtant ce n'est pas assez aux yeux de la petite. De toute façon, personne ne la voit. Elle est si discrète, si timide, elle en devient invisible ! Seule la mère ne l'oublie pas, elle rouspète à pas d'heure, lui inflige des robes au tissu qui gratte, lui coupe ses longues boucles pour chasser les noeuds définitivement, s'emporte après cette femme médecin qui la prend pour une incapable, râle sur sa fille qui fait ses comédies pour dormir, des cauchemars ? quels cauchemars ?!
Décidément, le quotidien de cette petite n'est pas bercée par les cajoleries. Au contraire, elle se sent incomprise, soucieuse, on dit aussi d'elle qu'elle est boudeuse. Parce qu'elle aime se réfugier sur les marches de l'escalier, où elle prend le temps de réfléchir, de mettre tout en place dans sa tête, de jouer avec sa poupée, bref "à partir du moment où l'on s'installe sur une marche d'escalier, on boude peut-être automatiquement, sans s'en apercevoir. Peut-être... ?".

Il y a beaucoup de pointillés dans l'histoire de la petite, beaucoup de questions sans réponses, d'anecdotes qui glacent le sang, de petits riens sur la routine familiale qui est stérile et figée comme du marbre. "La petite voudrait se sauver de cette enfance, interminable. C'est son espoir, c'est sa prière, c'est une lumière qui brille dans le noir, très éloignée, accrochant le regard, vous maintenant debout, vous protégeant du pire, c'est une promesse : toute enfance finit un jour."
En attendant, il faut se contenter de palliatifs et croire que le miracle surviendra. Oui, de manière totalement imprévisible, la voix sonore peut résonner, les tac-tac-tac sur le plancher peuvent marteler de plus belle, la petite va gagner "son billet, valable à vie, pour voyager dans d'autres vies". Formidable sauf-conduit ! La fin réconcilie l'impression morose d'une enfance pas toujours rose, d'une petite mal dans sa peau, en quête d'une caresse ou d'un mot gentil. Isabelle Minière ne taille pas la pierre avec rogne, elle évite les pièges du misérabilisme et trace un portrait criant de tendresse foulée au corps. Le fait que ce soit la petite qui raconte son histoire fait de "La première marche" un roman moins lourd et compassé sur le sujet de l'enfance tristounette et privée d'affection. C'est délicat et éclairé, au bout du compte.

Le Dilettante - 2007 - 188 pages

Posté par clarabel76 à 07:30:00 - - Commentaires [23] - Permalien [#]


Isabelle Minière en romans

Bon, j'avais promis de faire un "topo" sur les romans d'Isabelle Minière à l'occasion de la parution de son nouveau roman "La première marche"... Voici donc quelques points de repère.

cette_nuit_laLa très grande particularité de "Cette nuit-là" est la narration en " Tu " de bout en bout du roman. Grande audace ! L'auteur use cette forme pour interpeller l'héroïne, Lisa, victime d'un mari violent. Car Lisa est mariée à Clément, homme charmant, aux boucles dorées, très intelligent, aimé et respecté de tous. Un homme irréprochable. Sauf que cet homme-là a deux faces : un côté pile pour la ville, et un côté face pour son foyer. Clément n'est plus Clément, il devient un individu au regard noir, qui jette des éclairs et annonce l'orage. Un homme redoutable. Qui ne lève pas la main sur Lisa, non. Sa perversion va plus loin : il use des mots, il retourne les accusations, il insinue que c'est sa faute à elle, qu'elle le rend aggressif par sa faute. Lui est juste un peu coléreux. Sans plus. Alors, Lisa ? Coupable, responsable, victime consentante ?..
Isabelle Minière en dénoue tous les rouages, livre une spirale infernale. L'homme marié ne peut disposer de son épouse comme d'un objet. Abuser d'elle sans son consentement. C'est voler. C'est violer ! L'auteur fait mouche en déployant l'esprit retors du pervers contre la vulnérabilité de la jeune femme. Se taire, c'est consentir. La coupable, c'est elle. Elle ne peut priver d'un père à son enfant. Etc... "Cette nuit-là" est remarquable : la mécanique de la manipulation mentale est saisissante d'effroi. C'est écoeurant, mais hélas si réel. Cette lecture est dérangeante, certes, mais ça existe.   Le dilettante, 2004

soupirantCe livre est drôle ! Oui, malgré son thème d'abord presque morbide (un père qui se meurt), on sourit beaucoup au soliloque de la narratrice, sans prénom, si ce n'est celui qu'on a décidé de lui coller : Elodie. Parce qu'elle est née le même jour qu'une jeune fille morte, elle a instantanément été prise sous l'aile de son employeuse, quitte à la couvrir de cadeaux - toutes les affaires de la jeune défunte !
Bref, c'est une histoire où on s'intéresse de près aux morts. D'abord, prenons place autour de cette famille presque éplorée d'assister aux énièmes soupirs d'agonie du patriarche, suite à son déjeuner d'anniversaire. Car le problème, c'est que toute la famille n'est pas nouvelle de ces crises de "va-t-il bientôt mourir, ou pas ?". Donc, à la longue, ça plombe un peu toute cette assistance : la mère qui radote et s'invente des souvenirs, le frère qui compte les soupirs du mourant, la soeur aînée qui songe au sens de la vie, de l'argent, de l'amour etc. et la narratrice, sans identité définitive, silencieuse, butée dans un manque de sensibilité qui heurte sa mère. Mais silencieuse, elle ne l'est qu'en apparence car dans ses pensées elle ne cesse de parler, de raconter sa vie et celle de sa famille. Et il n'y va pas avec le dos de la cuiller ! Elle n'épargne personne ! Elle adopte volontairement un ton drôlatique, cynique et auto-dérisoire qui fait merveilleusement mouche. On adore, ou pas. C'est sûrement un roman qu'on parcourt d'une traite et qu'on ne regrette pas d'avoir parcouru ! 
JC Lattes, 2001

couple_ordinaire_2Ce n'est sans doute pas utile de revenir sur Un couple ordinaire dont j'évoquais la sortie en poche dans ce billet . Mais la couverture mérite le coup d'oeil, donc je la glisse... Le dilettante, 2005.

J'espère que ce petit tour d'horizon vous permettra de mieux cerner cet écrivain. Son univers est finalement varié. C'est étonnant comme elle parvient à se renouveller roman après roman, jamais elle ne s'enferme dans un créneau. Et à chaque fois, c'est très intéressant ! (Il me reste deux autres livres à découvrir encore.)

Posté par clarabel76 à 07:29:00 - - Commentaires [7] - Permalien [#]