La collecte des monstres - Emmanuelle Urien
Dans le club très prisé des "spécialistes de la nouvelle", où les demoiselles d'une trentaine d'années excellent avec leur bagout et un culot particulièrement jouissif, il faut vite inclure à la bande des Céline Robinet, Dorine Bertrand, Lola Gruber, Claire Castillon et Isabelle Sojfer, la "terrible" Emmanuelle Urien.
D'abord, bravo à elle pour avoir intégré l'écurie des éditions Gallimard, une belle récompense pour son talent déjà repéré par les surfeurs de la toile !
Passons.
"La collecte des monstres" est un recueil de 18 nouvelles dont on sort plus d'une fois abasourdie et sidérée par la note finale. Mais avant d'évoquer la conclusion, parlons d'abord du contenu : de beaux textes, faussement lisses, sur des personnages plus ou moins ordinaires, un peu toqués et frappés par le sort, et qui bouclent un chapitre en donnant le coup de massue sur l'infâme curieux qui a niché son nez dans ce livre !
Mazette, ça dépiaute !
Plusieurs histoires m'ont accroché, dont "L'homme qu'il me faut" où une jeune femme envoie des dizaines de lettres pour les journaux de petites-annonces, clamant qu'elle est une belle jeune fille parfaite qui cherche un homme avec les mêmes caractéristiques, la réponse ne se faisant pas attendre, la demoiselle s'émeut et se lance vers l'inconnu...
Le principe d'établir des règles et de vouloir s'en tenir fait écho à l'histoire de "Lilas ou les règles de l'art". Lilas est une jeune étudiante qui a du mal à joindre les deux bouts, elle décide de faire le trottoir avec les conditions qu'on lui connaît dans le quartier, "mille euros" dit-elle pour éconduire les indésirables, très bien !...
"Plaie d'agent" raconte le tic obsessionnel d'un homme qui pense être suivi et le vérifie sur le champ en se retournant brutalement, de son vice va naître la passion pour la photographie, puis le début de la gloire grâce au zèle exemplaire de son agent, mais bon...
Et je pourrais continuer d'en faire la liste, tant j'ai apprécié beaucoup des nouvelles de ce livre !
Pourtant, ce n'est pas gagné d'avance, il y a un fond méchant, un esprit terrible, un grain de folie et d'horreur, un compte à rebours qui va vous envoyer dans les roses ! C'est étonnant ce talent et cette facilité manifeste de mettre en place une situation qui varie, qui bouscule les idées et qui parvient sans cesse à nous surprendre.
Plus d'une fois, j'ai été ébahie par la chute. Tantôt je riais, tantôt je grinçais des dents, et même je me demandais s'il ne fallait pas me sentir (un peu) coupable de ricaner et de trouver ça drôle. Eh bien, non ! Le titre en lui-même annonce la couleur, et saviez-vous que dans certaines communes c'est ainsi qu'on nomme "le ramassage des encombrants" ?
"La collecte des monstres" est une peinture, ce n'est pas seulement dans un esprit de la laideur, celle-ci se décrit de bien différentes façons, on le constate, nous sommes cernés. Et comme disait Francis Bacon : "Si je rends les gens laids, ce n'est pas exprès : j'aimerais les montrer aussi beaux qu'ils le sont". Mais bon...
"Elle m'a dit un jour que connaître l'opinion des gens sur son compte, ça l'aidait à mieux les mépriser. C'est un besoin chez elle, le mépris, on dirait que ça l'aide à se tenir droit en l'absence d'autre soutien. Le mépris, c'est son tuteur à elle."
Vraiment pas mal du tout !
Gallimard, 155 pages.