14/04/07

Rue des Sept Filles - Claudine le Tourneur d'Ison

C'est un peu dommage cette silhouette féminine sur la couverture, car cela donne une idée fausse au roman de rue_des_sept_fillesClaudine le Tourneur d'Ison. De mon point de vue, je trouve que cela déclasse ce livre en une vague promesse de "grande histoire d'amour", dont une certaine littérature se fait largement écho. Ici, nous en sommes bien loin !
L'amour est certainement présent, c'est un terreau utile pour les romans, mais la façon de l'étaler n'est jamais la même. Pour la "Rue des sept filles", il faut s'attendre à un récit écrasant et débordant de passion, mais...

Au commencement, la narratrice est alitée, elle va mourir, son corps la lâche et ses yeux ne voient plus. Dans cette position, livrée à elle-même dans cette chambre d'hôpital, elle se remémore Le Caire en 1930. Elle avait 18 ans et suivait ses parents pour une mission diplomatique. A l'époque, déjà désoeuvrée et plongée dans un vague à l'âme profond, elle se languit d'un homme qu'elle vient de quitter, c'était son premier amant, son secret, et elle est partie. En Egypte, elle est avant toute chose dégoûtée et hermétique à l'atmosphère du pays. Elle boude les soirées mondaines, adopte une attitude hautaine envers le personnel de la maison, et puis elle se réveille.
Traversant les ruelles labyrinthiques, elle découvre un jour un quartier mal famé qui empeste la pourriture et l'odeur de stupre, puis se trouve au pied d'une maison en ruines où des femmes disposent de leurs corps ... C'est la Rue des Sept Filles. Là, la jeune française va venir et revenir, même en cachette. Elle est tremblante de désir, noyée par la peur, mais elle court rejoindre ce garçon qui lui fait perdre pied.
Son histoire cache une blessure, et le tableau familial aussi dissimule quelques secrets. Tout va se savoir, mais à la toute fin du roman. Et c'est anéanti et bouleversé qu'on termine notre lecture. Qui aurait pu douter un instant ? Car derrière ce doux étalage des sens, des impressions, du goût et des émotions, se clapit un désastre, un chamboulement. Dans cet hôtel en ruines, ce théâtre de la souffrance et de la débauche, l'insouciante jeune fille va être écorchée, touchée, blessée. Punie.
Ce roman est captivant, il restitue l'ambiance incandescente du Caire de l'époque, raconte la misère et la magnificence, évoque la volupté et la quête de l'absolu. C'est le portrait d'une femme qui a perdu son âme dans le désert, qui a aimé passionnément, au péril de sa peau, et qui livre au soir de sa vie "cette étrange histoire au bord du coeur". Sombre, douloureux mais terriblement sensuel et intimiste, un roman bien fascinant.

Albin Michel, 185 pages

Posté par clarabel76 à 13:00:00 - - Commentaires [10] - Permalien [#]