La plus belle - Béatrice Bantman
C'est l'histoire de Louise Kramer, fille de rescapés d'Auschwitz, qui a grandi avec cette sinistre litanie "Mme Kramer disait souvent qu'elle était revenue de là-bas parce qu'elle était la plus belle du camp". Alors, aux yeux et dans la tête de Louise, la beauté prend une importance cruciale, qui semble lui être refusée. Elevée dans la rigueur et la menace "du travail et rien d'autre", Louise perd vite sa fraîcheur, sa joie de vie et ses sursauts de bonheur. Chez eux, on est triste, on s'ennuie, on hurle et on donne des coups de ceinture si la petite ramène des mauvaises notes, si l'adolescente se maquille, si la jeune fille rentre tard et fréquente des garçons...
Avoir survécu à tout ça pour voir ça aujourd'hui, c'est le cri d'horreur de ses parents. Et Louise ne s'y oppose pas et accomplit leurs quatre volontés. Pour fuir ce quotidien morne, elle rêve, elle couche avec des types sans amour, elle a le coeur brisé par un Pascal qui la quitte pour une autre. Elle se tait. C'est une existence terne, misérable affectivement, qui ne comble pas Louise, "mal née, trop tôt, trop près des camps, au mauvais endroit, la mauvaise année, dans la mauvaise famille, vivante au pays des morts, rieuse et étourdie au pays des sanglots tus. Elle se débat comme une aveugle, une sourde, une folle contre les murs de barbelés que les Allemands ont dressés à jamais dans le coeur de ses parents."
Et alors que l'histoire semble s'enliser dans l'accablement, le cours reprend son intérêt pour se conclure sur un très bel hommage d'une fille pour sa mère, qu'elle comprend enfin, qu'elle accepte et qu'elle aime vraiment. On échappe au mélo pour montrer avec pudeur toute la complexité des survivants à refaire leur vie et cohabiter avec leur descendance. Ce livre montre très bien le profond fossé qui les sépare et qui peut briser une petite fille. Le tout est raconté entre humour et désarroi, mais quelle leçon d'ironie pour finir ! Denoël, 150 pages