Quelques lectures pour les plus grands
Voici 3 romans destinés pour les lecteurs dès 12 ans :
Des princesses et des hommes, Emmanuelle Delafraye. - Lucille a seize ans, elle vit seule avec sa maman qui est peintre et qui a un peu de mal à joindre les deux bouts. Le papa est un homme fort occupé, qui téléphone trois fois par an à sa fille et lui envoie des vêtements qui coûtent une fortune mais qui ne collent pas du tout au style de celle-ci. Alors un jour elle décide de lui suggérer qu'il lui adresse des tissus plus originaux car Lucille est habile de ses mains et se confectionne ses propres tenues. L'idée n'est pas au goût du père et les deux se fâchent.
C'est le début de la galère. Soudainement Lucille se sent mal dans sa peau, abandonnée donc agressive. Elle néglige ses leçons, devient arrogante avec ses professeurs, se dispute sans cesse avec sa mère et même l'acteur Johnny Tebbud parvient difficilement à lui faire oublier la réalité sordide et pénible de son existence.
Avec un titre aussi mirifique, "Des princesses et des hommes", le roman d'Emmanuelle Delafraye tient effectivement ses promesses à raconter le malaise d'une adolescente qui souffre de l'absence de son père. Se sentant mal aimée et rejetée, la jeune fille va se réfugier dans un monde imaginaire, celui des paillettes du cinéma hollywoodien. Et plus elle s'y perd, plus la remontée vers le réel lui semble insurmontable. Il lui faudra donc beaucoup de patience, pas mal de prises de tête encore, et surtout du soutien, de l'amitié et de l'amour pour qu'elle reprenne pied dans la vraie vie. Ce roman est léger, pétillant, reflète bien les effets pervers de l'adolescence désenchantée qui cherche ses repères où elle peut, et évidemment la fin est bien heureuse et hâtivement remédiée ! Dès 14-15 ans.
Les trilingues, Emmanuel Arnaud. - Je comprends que ce livre remporte autant de succès auprès des jeunes lecteurs car le style du narrateur ne peut que leur être très proche. C'est un franc parler, un style décousu et mordant, un mélange de verlan, de franglais et de vas-y-comme-je-te-pousse. Moi je n'aime pas trop, par contre ça a le mérite d'être très drôle ! Le narrateur nous livre sans ambages son année de 6e 7 dans le collège-lycée La Bruyère à Paris dans sa classe des trilingues (le choix délibéré des parents pour contourner la carte scolaire !). Avec lui, on comprend que ses camarades japonaises sont taxées de "thons", que leur mutisme et leur politesse sont trop beaux pour être vrais, que leur culture a le goût douteux du thé vert à boire sans fin ou du tofou ("un gros bloc de gelée, genre pas de goût, à faire vomir un zombi, qui flotte comme ça à la surface des plats"...). Et c'est le père Goldour qui est à l'initiative de toutes ces réjouissances, lui le responsable de l'Association d'amitié franco-japonaise. Je vous laisse la surprise de bien autres expériences poilantes prévues à leur programme ! Le livre se terminerait même sur un voyage au Pays du Soleil Levant, cela annonce-t-il une suite prochaine ?
C'est finalement ce qu'on lui souhaite, car même si c'était plutôt mal parti, ce roman est bourré de charme, d'humour goguenard et il colle définitivement au public destiné. Par contre, le personnage du père est un peu lourd, ou bien l'auteur a résolu un problème en épinglant les adultes dans la caricature un peu trop facile. Pas grave, ce roman a des atouts en poche qui vous feront convaincre que ... Allez, optez pour l'option Japonais ! Dès 12 ans.
La main de l'aviateur, Florence Aubry. - Découvrez vite cet univers angoissant, ce silence, ces mystères qui pénètrent dans le roman de Florence Aubry ! On y rencontre une adolescente de 16 ans, Gabrielle, enfermée dans une hutte de chasseurs, blessée, affaiblie et l'esprit en miettes. Pourquoi est-elle là ? Comment tout a commencé ? En Espagne ? Chez sa mère qui l'élève seule et qui semble être déçue de sa fille à vouloir s'en débarrasser sans état d'âme ? Ou en 1945, près de la dépouille d'un aviateur ? Et cet anneau en or, Emily and Greg for ever, quel étrange pouvoir dégage-t-il ?
"La main de l'aviateur" vient enrichir le catalogue de la nouvelle collection DoAdo Noir et c'est clair que son orientation toute désignée se passe de commentaires. C'est très bien écrit, laissant la place à une intrigue bien ficelée, une enquête se déploie, infime mais suffisamment aggrippante, et ces plongées dans le passé rendent le récit encore plus dense et passionnant ! J'ai beaucoup aimé, même frissonné à quelques indices, et même si ce roman est destiné à la jeunesse, il peut intéresser un large lectorat. Dès 15 ans.
Editions du Rouergue, collection DoADo.
Chut ! - Jean Marie Gourio
Un jeune militaire en permission rencontre une jeune fille assise sur un banc dans un parc, elle est coupée du monde, le nez plongé dans son livre. Le garçon la regarde, fasciné. Il souhaite la revoir et l'aborde. Elle lui tend son livre, elle s'appelle Mathilde, elle est bibliothécaire. Et l'histoire d'amour peut commencer. On peut s'attendre à tout de la part de ces deux mondes qui s'entrechoquent et s'éblouissent. Lui n'a jamais ouvert un bouquin de sa vie, chez ses parents les 21 volumes de l'Encyclopédie universelle sont fermés sous clef et exposés sous une lumière bleue. C'est un cadeau de son père pour la mère qui lisait et qu'il fallait respecter pour ça. Or, la mère est morte, en lisant un Jim Thompson à la page vingt-sept, depuis le père a tout bouclé, il s'est éteint. Avec son fils, on préfère boire un verre au café au lieu de parler de ces livres qui leur semblent étrangers... De son côté, Mathilde est une ogresse, dans sa famille les livres se comptent par milliers.
L'amour résiste aux fausses idées, et pour les beaux yeux de sa belle n'est-on pas prêt à entrer dans une librairie pour la première fois de sa vie ? acheter un livre, construire une bibliothèque, ranger des livres en vrac, poser son attitude de lecteur dans la rue, chez le boucher, devant sa douce..."Chut" est donc ce livre qui parle des livres et des lecteurs qui les rencontrent. Il fait aussi bien la part belle aux passionnés qu'aux incultes, démontre l'étendue de ce territoire inconnu et qui fait peur, et pourtant c'est un monde qui ne demande qu'à être conquis, approché, aimé ! Jean-Marie Gourio nous en parle bravement et vachement bien, la gouaille de son jeune homme qui fait semblant nous touche. C'est drôle. Mais c'est aussi plus émouvant qu'on ne le pensait, car l'histoire du père ne laisse pas insensible. C'est le portrait d'un homme qui a perdu sa moitié et qui va chercher dans les livres un sauf-conduit, oui vraiment ce livre a de quoi vous offrir des pistes de lecture nombreuses, à la fois fascinantes, facétieuses et palpitantes. A découvrir. Julliard, 177 pages (1998) / ou chez Pocket.