Mes Apprentissages - Colette
Présentation de l'éditeur
" On ne meurt que du premier homme", écrivait Colette en 1909, au moment de son divorce. Vingt-cinq ans plus tard, la blessure n'est pas encore refermée. Mes apprentissages (1936) en témoigne. Si elle se penche sur ses premières années de femme, raconte ses souvenirs de jeune épousée et évoque des personnalités du milieu journalistique et du monde littéraire auxquels elle fut très tôt liée, Colette dresse surtout un saisissant réquisitoire contre son premier mari, Henry Gauthier-Villars (1859-1931), dit Willy. Le portrait charge qu'elle a tracé dans ces pages fut ciselé avec un art si parfaitement maîtrisé que l'image qu'elle y donne de Willy marqua les lecteurs pendant plus de cinquante ans. II fallut attendre les années 1980 pour qu'on revînt à un jugement plus nuancé. Rarement cruauté fut plus séductrice...
Ou tout ce que Claudine n'a pas dit. Dans Mes Apprentissages, Colette revient donc sur son mariage avec Willy en révélant sa véritable face, son influence sur son travail et sa manipulation sur son caractère de jeune fille innocente. Le texte a été publié en 1936 et marqua immédiatement le public. Colette a excellé en se gardant d'être vile et mauvaise, gratuitement, elle a su être plus finaude, en déployant la nature trop paternaliste de son époux, ses combines derrière le succès de Claudine qu'il signait de son nom, ses liaisons extra-conjugales qu'une Colette jouvencelle découvre le coeur meurtri, et le modelage de la comédienne Polaire, façonnée pour être la jumelle de Colette, et qui interprète Claudine au théâtre.
Par mots couvés, mais toujours rondement bien alignés, Colette avoue donc des années de frustration, d'humiliation, d'impuissance et d'incertitude. La vie à Paris l'ennuie, la rencontre des intellectuels l'enchante, un temps, puis la valse hésitante reprend. Colette se gardait d'être honnête avec sa mère Sido, qui se piquera pourtant d'apprendre que sa fille a coupé sa longue chevelure, "Tes cheveux ne t'appartenaient pas, ils étaient mon oeuvre, l'oeuvre de vingt ans de soins. Tu as disposé d'un dépôt précieux, que je t'avais confié..."
Et longtemps Colette va être prise en étau, entre son envie de fuir et l'évidence manifeste de ne pouvoir agir, avouer tout à sa mère et refuser de retourner auprès d'elle ... "Il faut comprendre aussi qu'un captif, animal ou homme, ne pense pas tout le temps à s'évader, en dépit des apparences, en dépit du va-et-vient derrière les barreaux, d'une certaine manière de lancer le regard très loin, à travers les murailles... Ce sont là des réflexes, imposés par l'habitude, par les dimensions de la geôle. Ouvrez la porte : presque toujours, au lieu du bond, de l'essor que vous attendez, la bête déconcertée s'immobilise, recule vers le fond de la cage."
Jamais de tableau noir, ni de trucage, juste une vérité épurée, cinglante et teintée de fraîcheur, de sorte qu'elle puisse conclure sur cette note "il me semble que par contraste le "han" d'effort, le cri de douleur y rendraient un son de fête, et je ne saurais m'y plaindre qu'avec un visage heureux".
" Aimais-je encore, pour demeurer malgré les signes, attendre, et encore attendre ? Le oui, le non que j'aventurerais ici me seraient suspects. Lorsqu'un amour est véritablement le premier, il est malaisé d'affirmer : à telle date, de tel forfait, il mourut. Le songe qui nous restitue, pendant le sommeil, un premier amour révolu, est le seul à rivaliser en ténacité avec le cauchemar qui poursuit adolescents et octogénaires, le songe de la rentrée au collège et de l'examen oral.
Un point est certain : l'homme extraordinaire que j'avais épousé détenait le don, exerçait la tactique d'occuper sans repos une pensée de femme, la pensée de plusieurs femmes, d'empreindre, de laisser, d'entretenir une trace qui ne se pût confondre avec d'autres traces. Celles du bonheur ne sont pas indélébiles... "
" En somme, j'apprenais à vivre. On apprend donc à vivre ? Oui, si c'est sans bonheur. La béatitude n'enseigne rien. Vivre sans bonheur, et n'en point dépérir, voilà une occupation, presque une profession. "
Fayard, 155 pages