03/05/07

Mes Apprentissages - Colette

ApprentissagesPrésentation de l'éditeur
" On ne meurt que du premier homme", écrivait Colette en 1909, au moment de son divorce. Vingt-cinq ans plus tard, la blessure n'est pas encore refermée. Mes apprentissages (1936) en témoigne. Si elle se penche sur ses premières années de femme, raconte ses souvenirs de jeune épousée et évoque des personnalités du milieu journalistique et du monde littéraire auxquels elle fut très tôt liée, Colette dresse surtout un saisissant réquisitoire contre son premier mari, Henry Gauthier-Villars (1859-1931), dit Willy. Le portrait charge qu'elle a tracé dans ces pages fut ciselé avec un art si parfaitement maîtrisé que l'image qu'elle y donne de Willy marqua les lecteurs pendant plus de cinquante ans. II fallut attendre les années 1980 pour qu'on revînt à un jugement plus nuancé. Rarement cruauté fut plus séductrice...

Ou tout ce que Claudine n'a pas dit. Dans Mes Apprentissages, Colette revient donc sur son mariage avec Willy en révélant sa véritable face, son influence sur son travail et sa manipulation sur son caractère de jeune fille innocente. Le texte a été publié en 1936 et marqua immédiatement le public. Colette a excellé en se gardant d'être vile et mauvaise, gratuitement, elle a su être plus finaude, en déployant la nature trop paternaliste de son époux, ses combines derrière le succès de Claudine qu'il signait de son nom, ses liaisons extra-conjugales qu'une Colette jouvencelle découvre le coeur meurtri, et le modelage de la comédienne Polaire, façonnée pour être la jumelle de Colette, et qui interprète Claudine au théâtre.
colette_willyPar mots couvés, mais toujours rondement bien alignés, Colette avoue donc des années de frustration, d'humiliation, d'impuissance et d'incertitude. La vie à Paris l'ennuie, la rencontre des intellectuels l'enchante, un temps, puis la valse hésitante reprend. Colette se gardait d'être honnête avec sa mère Sido, qui se piquera pourtant d'apprendre que sa fille a coupé sa longue chevelure, "Tes cheveux ne t'appartenaient pas, ils étaient mon oeuvre, l'oeuvre de vingt ans de soins. Tu as disposé d'un dépôt précieux, que je t'avais confié..."
Et longtemps Colette va être prise en étau, entre son envie de fuir et l'évidence manifeste de ne pouvoir agir, avouer tout à sa mère et refuser de retourner auprès d'elle ... "Il faut comprendre aussi qu'un captif, animal ou homme, ne pense pas tout le temps à s'évader, en dépit des apparences, en dépit du va-et-vient derrière les barreaux, d'une certaine manière de lancer le regard très loin, à travers les murailles... Ce sont là des réflexes, imposés par l'habitude, par les dimensions de la geôle. Ouvrez la porte : presque toujours, au lieu du bond, de l'essor que vous attendez, la bête déconcertée s'immobilise, recule vers le fond de la cage."
Jamais de tableau noir, ni de trucage, juste une vérité épurée, cinglante et teintée de fraîcheur, de sorte qu'elle puisse conclure sur cette note "il me semble que par contraste le "han" d'effort, le cri de douleur y rendraient un son de fête, et je ne saurais m'y plaindre qu'avec un visage heureux".

" Aimais-je encore, pour demeurer malgré les signes, attendre, et encore attendre ? Le oui, le non que j'aventurerais ici me seraient suspects. Lorsqu'un amour est véritablement le premier, il est malaisé d'affirmer : à telle date, de tel forfait, il mourut. Le songe qui nous restitue, pendant le sommeil, un premier amour révolu, est le seul à rivaliser en ténacité avec le cauchemar qui poursuit adolescents et octogénaires, le songe de la rentrée au collège et de l'examen oral.

Un point est certain : l'homme extraordinaire que j'avais épousé détenait le don, exerçait la tactique d'occuper sans repos une pensée de femme, la pensée de plusieurs femmes, d'empreindre, de laisser, d'entretenir une trace qui ne se pût confondre avec d'autres traces. Celles du bonheur ne sont pas indélébiles... "

" En somme, j'apprenais à vivre. On apprend donc à vivre ? Oui, si c'est sans bonheur. La béatitude n'enseigne rien. Vivre sans bonheur, et n'en point dépérir, voilà une occupation, presque une profession. "

Fayard, 155 pages

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Colette

duoVoici d'abord "Duo" qui nous introduit au couple d'Alice et Michel (à redécouvrir, donc, avec "Le toutounier"). Jusqu'alors très complice et uni, le couple se trouve face à un terrible dilemme : Alice révèle une infidélité passagère. Ce sujet rend Michel très sensible, beaucoup plus qu'il ne le voulait d'ailleurs... On découvrira au fil des pages que cet accroc au contrat ne peut être reprisé, ni effacé. Même pour Alice, cet aveu semble lui ouvrir les yeux d'un autre aspect. Et on observe ainsi ce couple face à face, partageant les pensées de l'un puis de l'autre, tentant toujours de faire bonne figure, avec malgré cela la blessure pelotonnée en eux-mêmes.
La confidence est finalement devenue la pulvérisation de leur union. L'orgueil mâle est touché, la carapace est écaillée. Il devient aussi délicat chez l'homme comme chez la femme de passer à un cap supérieur. Alice se découvrira déçue et déconcertée par les nouvelles facettes de son compagnon, trouvant déplacées ses nouvelles attitudes, qui sont un peu les conséquences de sa confidence. "Duo" traite de la jalousie qui ronge l'âme humaine, avec toute la sensibilité et la subtilité qu'on connaît de Colette. On retrouve Alice et les soeurs Eudes dans leur "Toutounier" familial et reconfortant !...  Fayard, 180 pages.

Dans l'ombre, il écoutait mal. Un caprice de sa fatigue, la nouveauté d'une douleur errante qui ne savait encore où se poser, emmenait Michel, tandis qu'elle parlait, vers la jeunesse d'Alice et la sienne, vers un temps où Alice appartenait au hasard et à une famille accablée de filles qui se savaient lourdes, qui se battaient rageusement pour vivre. Une des trois soeurs d'Alice jouait du violon, le soir, dans un cinéma, une autre, mannequin chez Lelong, se nourrissait de café noir. Alice dessinait, découpait des robes, vendait quelques idées de décoration et d'ameublement. " Les Quat'z'Arts ", comme on les appelait, formèrent un quatuor médiocre, piano et cordes, et jouèrent dans une grande brasserie qui fit faillite. Le guichet d'un bureau de location encadrait jusqu'à mi-corps la beauté de l'aînée, Hermine, lorsque Michel devint directeur d'été au théâtre de l'Etoile. Mais il n'aima que la moins jolie de ces quatre filles alertes, ingénieuses, pauvres avec élégance, dénuées d'humilité.

toutounier

Alice rentre dans le giron familial, jeune veuve en colère, n'a-t-on pas idée de mourir aussi bêtement, se dit-elle en pensant à son mari Michel. Pourtant, elle a le coeur lourd, elle revient auprès de ses soeurs pour y flairer l'odeur du réconfort, de la sécurité.

Le toutounier est "un vaste canapé d'origine anglaise, indestructible, défoncé autant qu'une route forestière dans la saison des pluies". C'est le refuge des soeurs Eudes, leur cocon où elles se mettent en boule pour fumer, dormir, discuter des heures... Alice est comblée de retrouver Colombe et Hermine, mais il lui faut constater que ces dernières sont pâles, mystérieuses, entichées d'hommes mariés et prêtes à commettre l'irréparable !

"Le toutounier" a le charme de Colette, embaumé de cette odeur délicieuse et délicate, où l'écriture roule, frise et fait des merveilles. Il n'y a pas meilleur remède contre la mélancolie qu'un bon petit livre de Colette ! "Le toutounier" n'est pas parmi les plus connus, justement c'est l'occasion d'y goûter ! La relation des trois soeurs est un lien sacré, mis en scène avec un semblant de gaité et de légèreté, pourtant on devine entre les lignes la difficile condition d'être une femme "libérée" dans ces années 30. C'est tour à tour insouciant, joyeux, précieux, compassé et émouvant... C'est du Colette à l'état pur !  Fayard - 116 pages

secondeLu en présentation d'une édition de poche : Farou, auteur dramatique à succès, est occupé par les répétitions de sa nouvelle pièce, Le Logis sans femmes. Fanny sait que pendant cette phase de la création son mari n'offre aucune résistance aux tentations extra-conjugales ; elle en a pris son parti. Mais sa jalousie est tout autre quand elle s'aperçoit que Jane, la secrétaire modèle qui vit aussi chez eux, ne peut cacher la sienne à ce moment-là. Fanny se rend compte que son amitié pour la jeune femme l'avait rendue aveugle sur les relations qui avaient éclos sous son toit...

Encore un roman totalement méconnu de la grande Colette ! Il faut absolument plonger son nez dans cet ouvrage, tout y est : l'écriture, la perplexité d'être femme, amoureuse, trompée, menacée de finir seule, sans ressources... Colette s'inspire également pour ce roman de son expérience dans le milieu du théâtre. Elle donne au personnage de Fanny une vision spectatrice de l'ensemble, qui vit et vibre des succès et du stress du "génie masculin". Ce caractère est sombre et merveilleux. Cette femme est consciente d'être trompée, jusque là elle fermait les yeux, avec "une indulgence orgueilleuse", et puis l'effroi la gagne quand elle découvre que le danger existe sous les traits de la blonde, discrète et infaillible Jane, l'amie de fraîche date, embauchée pour être la secrétaire du grand Farou...
Il faut savourer ces lignes pleines de doutes et d'angoisses, lire ce portrait d'une femme forte et fragile, qui hésite et tremble, se pare de dentelles et de fougue, bref "La seconde" doit figurer parmi les incontournables de l'écrivain. C'est goûteux, un peu sulfureux... les thèmes sous-jacents avaient tout lieu de susciter émoi et scandale pour l'époque ! Aujourd'hui, ce côté décalé et en nuances contribue au charme des livres de Colette.   Fayard - 188 pages

Posté par clarabel76 à 09:15:00 - - Commentaires [14] - Permalien [#]
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