Le cheval impossible - Saki
"Le cheval impossible" est un fort appétissant plat principal qui regroupe 39 textes parmi les nouvelles écrites par le prolixe Saki, encore un digne représentant de cet humour anglais qu'on ne présente plus ! Comme bon nombre de ses pairs, Saki avait le sens de la formule, propre, lisse et élégant, et savait déployer un humour jubilatoire et mordant.
Parmi ces textes où la pédanterie se dispute à la dérision, Saki présente deux personnages imparables : Reginald (qu'on suit dans 14 péripéties), cruel dandy héros qui pourfend par le sarcasme la société mondaine édouardienne, pétrifiée dans les conventions, à laquelle il appartient pourtant de toutes ses fibres, et son jumeau Clovis, jeune homme de la bonne société britannique, oisif, insouciant, portant sur tout ce qui l'entoure un regard subtilement cynique. (présentation de l'éditeur)
Beaucoup de cynisme, certes, accompagné d'un humour ravageur, bref Saki offre à vos heures de blues un bien bel échappatoire et une porte ouverte aux éclats de rire !
De quoi avoir des envies : - Vous avez bien dit que c'était votre mère et vous qui nous offraient ce cadeau ? demandèrent presque à l'unission Mr et Mrs Pigeoncote.
Le Voleur était orphelin depuis de nombreuses années.
- Oui, ma mère est au Caire actuellement et elle m'a écrit à Dresde d'essayer de vous trouver un objet à la fois joli et original, comme de l'argenterie ancienne, et j'avais choisi une jatte d'argent.
Le couple Pigeoncote était devenu d'une pâleur mortelle. Le nom de Dresde avait brusquement jeté une lumière nouvelle sur la situation. C'était donc Wilfrid l'Attaché, un jeune homme supérieurement doué qui ne fréquentait guère leur propre milieu et qu'ils avaient reçu sans le connaître, en lui prêtant les caractéristiques de Wilfrid le Voleur. Lady Ernestine Pigeoncote voyageait beaucoup ; ses relations étaient nettement hors de leur portée et de leurs ambitions ; son fils serait probablement un jour ambassadeur. Et ils avaient fouillé et pillé sa valise ! Le mari et la femme se regardèrent d'un air stupéfait et désespéré. (...)
* Mrs Pentherby s'entendait assez bien avec les hommes, sans être le type de femme qui ne s'épanouit que sous le regard masculin. Elle ne manquait pas non plus des qualités courantes qui font qu'une personne sait se rendre utile et agréable en tant que membre d'une communauté. Elle n'essayait pas de s'adjuger de petits avantages, ni d'échapper totalement à la participation équitable requise par la vie en société, pas plus qu'elle n'ennuyait les gens par son snobisme pour se faire valoir par des souvenirs personnels. Elle jouait au bridge avec une excellente efficacité et une correction parfaite. Mais dès qu'elle était en contact avec des personnes de son propre sexe, la flamme du combat commençait à brûler. Son talent pour exciter l'animosité tenait vraiment du génie.
L'objet de son intérêt pouvait être peu susceptible ou très sensible, irascible ou accomodant, Mrs Pentherby s'arrangeait pour obtenir le même résultat. Elle soulignait les points faibles, appuyant légèrement sur les endroits douloureux et éteignait toute manifestation d'enthousiasme. Dans les discussions, elle avait généralement raison ; et quand elle avait tort, elle s'arrangeait pour que son adversaire paraisse stupide et entêté. Elle faisait et disait des horreurs sur un ton banal et innocent ; et elle faisait et disait des choses banales et innocentes sur un ton horrible. Bref, les femmes rendirent un verdict unanime : elle était impossible. (...)
* - Voilà qui nous laisse le champ libre, dit Strudwarden, mais malheureusement j'ai le cerveau totalement vide dès qu'il s'agit d'un projet de meurtre. Cette petite bête est si monstrueusement passive... je ne peux pas prétendre qu'il a sauté dans la baignoire et qu'il s'est noyé, ni qu'il a engagé contre le gros dogue du boucher un combat inégal qui l'a transformé en viande hachée. Sous quelle forme la mort peut-elle se présenter à l'occupant perpétuel d'un panier ? Nous croirait-on si nous inventons un raid des suffragettes envahissant le boudoir de Lena ? Il faudrait faire beaucoup d'autres dégâts, ce qui serait très désagréable, et les domestiques trouveraient bizarre de n'avoir pas vu les envahisseuses.
- J'ai une idée, dit Elsie, achète une boîte avec un couvercle bien hermétique et perce un tout petit trou, juste assez grand pour laisser passer un tube de caoutchouc. Fourre Louis et la niche et le reste dans la boîte que tu fermes. Fixe l'autre extrémité du tube à l'arrivée du gaz. Le résultat est assuré. Tu pourras mettre la niche près de la fenêtre ouverte après, pour dissiper l'odeur du gaz. Tout ce que Lena trouvera quand elle rentrera, tard dans l'après-midi, sera un Louis paisiblement défunt.
- On a écrit des romans sur des femmes comme toi, dit Strudwarden, tu as l'âme d'une parfaite criminelle. Allons chercher une boîte. (...)
* - Un personnage important, et qu'il ne faut contredire sous aucun prétexte, a prétendu qu'il faut avoir réussi à trente ans, ou jamais.
- Bah, dit Reginald, avoir trente ans, n'est-ce pas déjà un échec ?
A voir : L'insupportable Bassington - Saki
Robert Laffont, Pavillons poche, 290 pages (Mai 2006)
Je préfère la comédie ~ Ariane Gardel
Le dernier roman d'Ariane Gardel est une pépite à manier avec précaution : petit, frêle, fragile et bourré de sensibilité. "Je préfère la comédie" met en scène une jeune adolescente rêveuse et lucide, mystérieuse et blessée. Elle emménage dans un nouvel appartement tout blanc avec son père, sa soeur est en Amérique, ses frères vivent entre amis, et sa mère... Absente, l'ombre de la maman plane telle un peau de chagrin sur la collègienne. Désemparée, mal fagotée, avec des résultats scolaires médiocres, la jeune héroïne du roman vit dans son univers à elle: le cinéma, les vieux films, les acteurs américains des années 50, et le théâtre, la comédie. Ses lectures, sont des pièces de Marivaux ou Giraudoux. Tandis que ses camarades scotchent des posters de Tom Cruise dans leur chambre, elle découpe les jolies photos en noir et blanc des acteurs de son magazine de cinéma. Dans son walk-man, elle écoute les chansons de Peau d'Ane. Elle visionne Happy Days à la tv... bref : portrait d'une adolescente décalée, mal dans ses baskets, une Charlotte Gainsbourg version "La petite voleuse", avec ses jeans, son pull marin et ses baskets blanches.
Véritablement attendrissant, "Je préfère la comédie" est un petit roman qui se lit d'une traite. L'écriture parle de l'adolescence sans niaiserie. L'auteur, comédienne de formation, dessert ses chapitres de citations, brode ses dialogues façon échanges théatrales et glisse des extraits de pièces qui dépoussière quelques bons vieux classiques. La jeunesse n'est pas perdue : la petite Anne du roman d'Ariane Gardel nous en livre un portrait haut en couleurs, et d'une rare délicatesse !
mai 2004
Le garçon et la mer - Kirsty Gunn
Ward est un adolescent de 15 ans, différent de ses camarades, des autres et de son père, le célèbre MacFarlane, grand surfeur loué par toute une génération.
Quelque chose cloche chez Ward, mais impossible de mettre un nom dessus. C'est un sentiment d'isolement et d'incompatibilité. La mer le fascine et le rebute. Son père lui est étranger, ses regards, ses mots sont autant de balles lancées contre un mur.
Ward n'est pas un surfeur chevronné.
Avec ses amis, il détonne également. C'est un solitaire, et seul son meilleur ami Alex parvient à le traîner chez Beth qui organise une fête en l'absence de ses parents.
Ici dans ce roman, Kirsty Gunn ne décide pas de traiter de l'adolescence et du choix de la décalcomanie envers un père qui rassemble tous les suffrages de popularité. Pour être dans la norme, en gros.
C'est une lecture qui se goûte au rythme de la mer, ses ressacs, son bruissement, son mystère et son envoûtement. L'atmosphère est languide, accablante et flottante.
Prédire un malheur, pourquoi pas ? Comprendre un peu mieux cet adolescent dissemblable face à une figure paternelle "aux yeux de revolver" ?... Tout est très étrange et le sentiment d'appréciation se situe entre les lignes de cette histoire courte. Kirsty Gunn, une nouvelle fois, enchante et trouble. L'eau est encore présente (cf. son 1er roman "Pluie"), de même que les histoires familiales un peu brumeuses et qui donnent un ton impénétrable à l'histoire.
La mer a une importance capitale, sa description est précieuse et contribue au pouvoir de ce livre.
Pour mieux poursuivre la découverte d'un auteur étonnant.
Christian Bourgois, 260 pages / Mars 2007.
J'ai relevé ceci : Trop tard, c'est fait. C'est arrivé comme à chaque fois, la mention du nom de son père. Alors ça pourrait aussi bien être son père, ça pourrait aussi bien être lui qui se tient là. Comme s'il n'y avait que lui qui comptait, ses mots pour parler de l'eau, les mots que Ward lui-même a fini par employer, transformant l'aventure en un récit comme en raconterait son père, un récit factuel, il possède ce genre de pouvoir. C'est exactement ça. La façon dont son père parle de la mer, disons, pour la maîtriser, et Ward qui écoute, et maintenant regarde-le, il fait la même chose. Les autres qui demandent tout le temps : "Et ton père, qu'est-ce qu'il en pense ?" quand ils hésitent à sortir en mer. "Et ton père, il a vu l'eau dont tu parles, Ward ? Qu'est-ce qu'il dit" Si bien que Ward est obligé de scruter de nouveau l'océan, mais à la manière de son père. Si bien que quand il s'y résigne, quand il contemple de nouveau la mer, la vue qu'il a devant lui n'est plus la sienne, cette vue-là s'est envolée, et c'est la journée telle que l'a prévue son père qui se déploie maintenant devant lui. (...)
Mais vous savez quoi ? Et après ? Ce ne sont que des informations, des mots, une fois de plus, ça oui, mais rien de nouveau, et son père a le chic pour ça... Donner aux mots plus d'éclat que nécessaire. Alors n'accorde pas trop d'importance à ce que peut dire cet homme.