17/05/07

Pour qui vous prenez-vous ? ~ Geneviève Brisac

L'influence anglo-saxone est grande dans le recueil de nouvelles de Geneviève Brisac ! Tour à tour les ombres de W. Auden, Virginia Woolf, Isabelle Archer et Henry James survolent ces pages au léger goût de soufre. Geneviève Brisac écrit le désespoir, la douleur et la presque-folie. Ses personnages valsent de nouvelles en nouvelles, d'une page à l'autre on les retrouve transportés dans d'autres histoires et états d'âme. Car Geneviève Brisac nous parle de ces choses simples et tranchantes: la peur de voyager, la peur de mourir, la peur de ne plus aimer ou être aimé. En onze nouvelles, elle plante son lecteur dans ce décorum qui laisse parfois perplexe, enchanté ou cynique. L'auteur a une plume vive et incisive, elle nous transperce ainsi que ses personnages de papier. La narratrice est soit fâchée de ne pouvoir ouvrir une fenêtre dans un taxi pour cause d'air conditionné, s'offre des vacances et rencontre une gardienne qui jure de venger sa soeur battue par son compagnon, ou tremble de perdre l'homme qu'elle aime et qui se noit sous ses yeux, s'envole en Louisiane pour des vacances d'envers du décor ou à Cancun en compagnie d'un cercle de poètes qui sentent la bière et l'huile solaire... Le monde de Geneviève Brisac n'est pas édulcoré, tout est souvent sinistre et railleur. Ils s'appellent Max, Gerbert, Melissa Scholtès, Mélinée ou Madame Archer. Ce sont des êtres qui souffrent (en silence), qui frisent la folie ou le désespoir. Ils témoignent d'une société qui vote l'inconscience, téléphone par mobile, part skier près d'un pays en guerre ou part un week-end à la campagne. Au fil des pages, la narratrice, aidée par l'auteur très en verve, regarde le monde et nous ouvre les yeux. Avec elle, on sent la honte de la puérilité, le trouble de la mort et on regarde ces oiseaux noirs de malheurs : les corbeaux. ("C'est l'un des animaux les plus proches de l'être humain. ça les rend intelligents, névrosés, cruels, intéressants, tendres aussi.") Le livre de Geneviève Brisac est tout ça aussi : tendre, violent, intelligent et attachant. La lecture n'en laisse pas moins perplexe mais "Pour qui vous prenez-vous?" recèle un charme indicible, un peu poète et beaucoup désespéré. "Dans l'eau, je me suis mise à pleurer sans crier gare. Des litres de larmes dans des litres d'eau. Les larmes faisaient des trous dans la mousse, comme des puits creusés par des puces de sable, par des lombics. Des tunnels de larmes pour aller nulle part."

mai 2004

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Désagrégé(e) ~ Christophe Ono-dit-Biot

César a loupé son agreg, et il s'en faut de peu pour qu'il soit sur la liste des admis (c'est lui le "premier collé"). Une idée germe dans son esprit retors: récupérer la place d'un admis et pour cela pourquoi pas l'éliminer ?.. En cible, son meilleur ami Arthur. Tous deux partent en vacances à Cuba; pour César son plan doit fonctionner, il rentrera agrégé dès son retour au pays. Evidemment les choses vont se corser, sur l'île du Lézard Vert les plaisirs paradisiaques vont embrumer les esprits souvent pris d'alcools des deux jeunes gens. César, entre scrupule et calcul, va tenter de redonner goût à la vie à Arthur, en couple depuis six ans et donc qui traverse une crise existentielle. Les deux compères vont se perdre en rencontres, sorties et autres épopées "calientes". Pour conclure à un dénouement assez inattendu...

Bref, ce premier roman de Christophe Ono-dit-Biot est l'histoire d'une jeunesse désolée et perdue dans des échecs sociaux, sentimentaux et ...scolaires. César est le jeune homme qu'on abhorre par excellence, grand et petit joueur à la fois. Incapable d'encaisser l'échec de son agreg, il pense avoir loupé complètement sa vie. Mauvais, il en veut aux autres et du coup abuse du système : il boit trop, attise les jeunes filles, couche trop vite et se sauve au petit matin, se joue de la vie comme d'une partie de pocker. Résolu mais pris de remords, César pourra-t-il atteindre son objectif ??? Pour cela, l'auteur use (et abuse) de 245 pages pour dépêtre son personnage cynique et un rien dandy. César, le Surcouf des amphithéâtres, a 23 ans, il n'est ni fou ni amoureux, et va commettre un crime. D'emblée, son histoire est tracée. Christophe Ono-dit-Biot fait valser sa plume pour créer ce ton blasé et auto-dérisoire, parfois lourd à lire. Trop de cynisme finit par tuer l'assassin. Et puis, il aurait été préférable d'abréger de quelques chapitres l'histoire qui a tendance à s'enliser vers la fin ... mais bon. Petite erreur de jeunesse somme toute pardonnable. "Désagrégé(e)" est un roman cocasse, écrit subtilement (et aussi pointilleusement). L'écriture captive ou lasse (parfois). L'auteur signe un bon petit roman intéressant, mais qui ne s'inscrira pas dans les annales.

mai 2004

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Le vol des aigrettes - Sue Monk Kidd

vol_des_aigrettesJessie reçoit un coup de fil de l'île des Aigrettes, là où elle a grandi avec son frère Mike et leurs parents, avant de quitter les lieux précipitamment quelques années plus tard. Trop de mauvais souvenirs, dont la mort de son père, pour laquelle elle s'est sentie responsable.
Elle est aujourd'hui mariée à Hugh, un homme charmant et intelligent. Elle peint des petites boîtes et surmonte le départ de sa fille Dee pour l'université. Mais la façade lisse de sa belle vie idyllique s'effrite, car Jessie s'ennuie sans l'admettre officiellement.
Ce coup de fil, finalement, est un sursaut pour elle. On lui annonce que sa mère s'est intentionnellement tranchée un doigt, qu'elle a besoin de sa fille et qu'il faut à Jessie le courage d'effectuer ce retour vers le passé.
Son arrivée sur l'île s'accompagne de grandes bouffées d'asphyxie, de nostalgie, de douleur et de tristesse. Aux grandes questions qui impliquent la santé de sa mère, viennent aussi celles sur la mort de son père, sur ce qui a poussé toute une famille à éclater après ce drame. Et puis, il y a ce moine bénédictin, Frère Thomas, qui trouble et attire Jessie. N'étant plus sûre de sa vie de couple, elle se sent prête à sauter le pas pour de nouvelles expériences, affronter les fantômes et brusquer sa mère et leurs amis pour connaître les secrets.

J'avoue avoir lu ce roman car j'avais beaucoup aimé le premier livre de Sue Monk Kidd, "Le secret des abeilles". Bon, cette fois-ci je suis un peu moins emballée mais assez séduite par ce talent qu'a l'auteur de créer une réelle ambiance, une atmosphère réconfortante avec des personnages terriblement attachants.
Il y a toujours un fond mystique et religieux dans ces histoires, ici on prend connaissance d'une mystérieuse chaire ornée de sirènes sculptées, en hommage à une sainte qui, selon la légende, a abandonné sa condition de sirène pour se convertir au catholicisme. Toutefois, cela n'affecte pas davantage la lecture ni l'histoire.
La couverture n'est pas très réussie non plus et peut inviter le lecteur à la confusion. Ceci n'est pas un roman sentimental, juste un peu, mais c'est surtout le portrait d'une femme qui a une quarantaine d'années et qui traverse une crise. Il est, enfin, intéressant de se pencher sur une telle situation. Il est fini de s'imaginer que seul un homme peut connaître "le démon de midi". Car ici Jessie s'échappe de sa vie conjugale, de son cocon et va connaître des sensations nouvelles qu'elle va écouter, et non plus étouffer.
C'est une lecture séduisante, avec ses qualités et ses défauts, mais on en sort plutôt ravi.

JC Lattès, 380 pages / Avril 2007.

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