Lectures couci - couça
J'appelle à la barre la dénommée Lily qui par son analyse pertinente et toujours fine a su m'accrocher à ses filets pour me convaincre de lire Octavie dans tous ses états de Constance Delaunay. Avec ses arguments imparables, les extraits proposés et cette vague histoire d'adultère, j'étais donc particulièrement réjouie. D'autant plus que j'aime également cet écrivain pour avoir déjà lu quelques-uns de ses livres... (Autour d'un plat, Sur quel pied danser, La tsarine).
Octavie est l'épouse d'un seul homme. Corps et âme, elle s'est donnée à son époux. Elle ne connaît que lui, ne vit que pour lui, ne voit que par lui. Jusqu'au jour où une autre femme prend possession de cet homme, lui impose ses idées, tourne en dérision le mariage et prône l'amour libre. Octavie, qui se sent directement menacée, passe à l'attaque : cris, larmes, invectives, tout lui est bon pour forcer son époux à avouer sa liaison.
Comme Lily, j'ai aimé ce principe de narration, ce mélange des genres, cette idée originale de distiller la recette ancestrale du roman façon 18e - 19e siècle. La prise de parole, en exergue de l'histoire, faite par la narratrice apporte un côté drôle qui soulage du sujet bateau - l'amour trompé, bafoué et la liaison honteusement exhibée sous le nez de l'épouse. On aimerait beaucoup s'apitoyer sur Octavie, mais c'est hélas impossible. Pas qu'elle manque de charisme, au contraire ! Octavie est attachante, un peu midinette et on l'apprécie beaucoup pour ces facettes. Ce qui finalement porte le nom de "déboire" prend vite le goût d'une affliction à détourner et matière à riposte. A méditer ...
Bon hélas, je n'ai pas autant aimé que Lily. J'aurais bien aimé, mais je crois que je préfère Constance Delaunay dans les nouvelles. Sur 160 pages, j'ai fini par m'ennuyer un tantinet. Je préfère lire et relire le billet de Lily à la rigueur ! Gallimard, 164 pages (avril 1996)
extrait : Mais ne sommes-nous nous pas tous des héros de roman ? Ne sommes-nous pas obligés de l'être, sous peine d'exploser, réduits en miettes, privés d'histoire ? Un mélange de souvenirs, de projets, craintes et espoirs marque chaque instant présent, instant qu'on qualifiera d'abstrait, d'imaginaire, afin d'échapper aux forces centrifuges qui conduisent tout droit à la folie.
Ainsi, plus nous avançons dans la vie, mieux nous comprenons qu'il nous faut à toute force construire notre histoire, à la façon d'un jardinier qui taille par-ci, élague par-là, enlève les feuilles jaunies, les boutons, qui pompent la sève au détriment de la fleur unique, vouée à l'épanouissement.
Mais foin de ces propos qui n'engagent que moi et que je n'ai pu m'empêcher d'introduire en contrebande, revenons à Octavie, bien vivante, avec ses cris, ses pleurs, ses rebiffades.
Note info : Gilberte Lambrichs est traductrice et écrivain. Elle est l'épouse de Georges Lambrichs. Traductrice entre autres de Fritz Zorn (Mars) et Thomas Bernhard (Béton, Maîtres anciens, Extinction), elle publie également sous le nom de Constance Delaunay. (Entretien)
Lire tout haut par Constance Delaunay
N'hésitez pas à découvrir cet auteur avec Autour d'un plat (par exemple)
Guillaume connaît le bonheur d'être papa pour la première fois et accueille avec éblouissement sa petite Justine. Il pourrait être comblé, or sa compagne Florence va au plus mal. Et en moins de vingt-quatre heures, l'heureux papa va hélas faire l'expérience du deuil en apprenant la mort de sa femme.
Ivre de folie, de chagrin, de remords, l'homme tente de refaire surface et va apprivoiser son bébé. Tous les deux vont se surprendre et se découvrir. L'étrange relation qui va naître devient enivrante et fusionnelle. Mais dans ce roman qui pourrait paraître bien lisse, un fait bizarre se produit : au fur et à mesure que le bébé pousse, le père régresse. Jusqu'au point de non-retour ?
Etrange roman sur le choc de la paternité, "Daddy blue" est un récit allégorique où le fantastique prend un peu le pas, se glissant furtivement dans l'idée d'un donnant-donnant à double tranchant.
De bonnes idées pouvaient compléter ce court roman, toutefois le style adopte parfois un ton poussif qui pénalise la fantaisie du propos.
J'ai été un peu déçue, mais je pense que ce livre gagne à être offert aux futurs papas !
Le Cherche Midi - 176 pages - En librairie Août 2007.
Dans cette histoire, j'ai aimé l'idée de deux frères faux jumeaux, d'un homme qui avait épousé une folle et adopté deux nains hongrois, et d'une grande fresque familiale sur fond de clichés d'une époque.
L'histoire se déroule dans un ancien territoire du Saint-Empire devenu belge après la première guerre mondiale et introduit le grand-père Klaus, chargé de créer une scierie et de bâtir les fondations de son clan dans une grande maison plantée au bord d'une vaste forêt. Florent et Paul sont les descendants d'une lignée ayant le sang chaud et le caractère bien trempé, mais avec une forte tendance aussi à l'atermoiement doublée d'une résignation silencieuse.
Leur père est tendre mais toujours absent, la mère dérangée et colérique, aussi les garçons vont très vite s'attacher au couple de nains hongrois, Laszlo et Paliki, un peu magiciens et ramenés pliés en quatre dans une valise.
Tout au long du récit, l'appréhension s'étend comme une marée noire et gagne nos deux frères. Même en vieillissant Florent et Paul vont comprendre qu'il sera toujours difficile de trouver leur voie, de croire en leurs histoires d'amour, tout en cessant de fuir les souvenirs et les fantômes de leur enfance. Heureusement la musique, les films et les livres serviront de bouées de secours.
La lecture très rapide de ce roman est surprenante, intéressante dans les premières pages, et puis ... Je ne connaissais pas Francis Dannemark, sauf de nom, je me suis réjouie de ce choix pour une première approche. J'ai juste un peu buté sur la "grande fresque romanesque" qui n'en finissait plus avec ses rebondissements, je sais bien que cela fait partie de l'idée générale, mais j'ai trouvé que cela créait trop d'incidences sur le long terme, et puis certains passages donnent aussi le sentiment de parcourir un arbre généalogique. En bref : lecture intéressante, pas nécessaire. Mais je compte bien lire d'autres livres de cet auteur !
Editions Robert Laffont - 262 pages - En librairie le 27 Août 2007.
Illustration : Stéphane Manel, d'après une photo d'Emmanuel Robert Espalieu.
** Rentrée Littéraire 2007 **
L'avis de Laurence
Volvo Trucks ~ Erlend Loe
Volvo trucks met en scène la pétillante Marj Britt, 92 ans, veuve et fumeuse de hashich. Son mari était un ancien employé de chez Volvo Trucks et a été le principal créateur du modèle Globetrotter, cependant l'homme a été roulé dans la farine et s'est fait voler la vedette et les plans de cet engin. Dommage. Toutefois, la maison qu'il occupe avec son épouse a aussi été spoliée à son voisin, von Borring, un fondu de scoutisme, d'oiseaux et de nature. Un jour, sortant de sa forêt, débarque Doppler avec son fils Gregus et son élan Bongo. Ils arrivent chez Marj où ils vont se reposer, manger et se séparer. Car Gregus est déçu par son père, qui danse en fumant son hasch, et décide de rentrer chez sa mère à Oslo. L'élan aussi va prendre la poudre d'escampette. Mais Doppler continue de perdre ses idéaux en la compagnie de Marj Britt. Cette dernière va vouloir taquiner son voisin von Borring et charger Doppler d'une mission, mais rien ne se passe comme prévu. Doppler va rencontrer le scout et devenir l'élève de cet homme. Un vrai micmac ! C'est carrément débile, mais cocasse et loufoque. Tous les intervenants de ce roman sont singulièrement des bouffons. Il est cependant impossible de ne pas sourire à leurs délires et aventures, inévitable de s'attacher au badinage de ce narrateur. "Volvo Trucks" est un roman surprenant, original et extravagant ! Tant mieux.
septembre 2006
La passion selon Juette - Clara Dupond Monod
Enfant, Juette aimait la compagnie de son ami et confident, le prêtre Hugues de Floreffe, qui lui racontait des histoires où amour courtois et chevaliers servants promettaient à la petite fille un brillant avenir. Mais en grandissant, Juette commence à percevoir l'injustice de son sort (apprendre à coudre et être vouée au mariage) et son discours alerte l'évêque qui la dit « abandonnée en paroles ». Les parents de Juette se hâtent de la marier, l'enfant n'a que treize ans.
Nous sommes au 12ème siècle, dans la petite ville de Huy, en Belgique. Les filles obéissent à leurs pères, disent « oui, je le veux » devant l'autel de l'église et subissent avec les larmes de la douleur une nuit de noces qui a toutes les allures d'un viol. Juette abhore son époux, ne supporte plus ses assauts, elle souffre, endure ses grossesses qui la déchirent et l'écorchent de plus en plus. « Un enfant ne fait pas un enfant », écrit-elle.
J'étais peu convaincue par cette histoire avant d'ouvrir le livre. On parle d'une sainte, au temps du Moyen-Âge, d'un esprit en extase, une personnalité céleste qui va protester contre les représentants de l'Eglise de l'époque... Bof, pas trop l'envie. Et en fait, j'ai été totalement surprise, emportée par les premières pages du roman, complètement séduite par Juette qui, en dépit de son jeune âge, fait montre d'une lucidité passionnante.
Juette n'est pas une vulgaire insoumise, elle n'est pas non plus une hérétique, ni une folle, tout bonnement. C'est une passionnée, une âme qui vibre aux Voix qu'elle entend, qui répond aux Apparitions. Son combat contre la perversion, son investissement au sein de la léproserie, son refus de plier l'échine font rapidement d'elle une Noble personne, une féministe de première heure ! Car Juette ose et s'oppose à l'Homme (le prêtre, le père, l'époux, le fils...).
Il existe bel et bien une jeune fille prénommée Juette, née en 1158 à Huy en Belgique. Le récit de sa vie a été écrit par le religieux Hugues de Floreffe, son ami et confident. En s'inspirant de ce texte, Clara Dupont-Monod a écrit un roman lumineux sur une jeune femme qui n'était pas de son temps. Son récit est croisé par les deux voix, celle de Juette et celle de Hugues, et donne un magnifique face-à-face entre le cri de révolte et la tendre sagesse, proche de l'amitié amoureuse.
« La passion selon Juette » n'est pas un roman qui fait grand bruit, pourtant il mérite qu'on s'y attarde !
(Le roman a déjà obtenu le Prix Laurent Bonelli - Lire & Virgin Megastore.)
Grasset, 224 pages / Août 2007.
** Rentrée Littéraire 2007 **
Lire l'article de François Busnel (Lire)