Clair de femme ~ Romain Gary
"Clair de femme" est une bouleversante histoire d'amour au sens très large. C'est la rencontre entre Michel et Lydia, tous deux blessés et saouls de malheur. Lui car sa femme se meurt et l'a prié de s'en aller rencontrer une autre femme ; elle, Lydia, la quarantaine et les cheveux blancs, coupable de ne plus aimer l'homme qui a tué leur petite fille dans un accident de voiture. Ces deux êtres en perdition, écorchés et malheureux, vont se heurter sur un trottoir, faire l'amour cette première nuit, se parler et errer dans les rues de Paris pour se consoler. Leur rencontre va alléger leurs chagrins, pensent-ils... Le roman se passe en une nuit : le temps pour la femme aimée de mourir, le temps pour Michel et Lydia de parler amour et couple. « Nous avions besoin d'oubli, tous les deux, de gîte d'étape, avant d'aller porter plus loin nos bagages de néant ». Toutefois, Michel est un bâtisseur de cathédrales et son attente du couple est trop faramineuse pour l'ultra-sensible Lydia qui prend peur de cette promesse d'édifice. Michel doit partir vers d'autres terres pour oublier sa femme trop adorée et cette dernière nuit va s'écouler tristement, vainement. Ode à l'amour, à la vie de couple, à la pérennité de cet amour ?... "Clair de femme" est un bouleversant hommage d'un homme pour la femme de sa vie, la célébration passionnée de la « patrie du couple» ; « d'une bienheureuse absence d'originalité, parce que le bonheur n'a rien à inventer ». Étourdissant d'actualité pour un texte publié en 1977, ce roman s'inscrit dans la coulée d'une écriture claire et aérée, il révèle l'angoisse du déclin que pressentait l'auteur lui-même - il s'est finalement donné la mort en 1980. « Il y a dans ce roman la dérision et le nihilisme qui guettent notre foi humaine et nos certitudes sous le regard amusé de la mort, écrivait Gary. Les dieux païens nous guettent installés sur l'Olympe de nos tripes. Notre vie n'est peut-être que le divertissement de quelqu'un. Tout se passe comme si la vie était un music-hall, un cirque où un suprême senôr Galba [pitoyable pitre alcoolique, dresseur et montreur de chiens]...s'amuserait à nos dépens ». Nullement sinistre, "Clair de femme" se révèle époustouflant !
lu en octobre 2004
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