Alabama Song - Gilles Leroy
De quoi nous parle ce roman ? Oui, « roman », c'est un terme que souligne son auteur, Gilles Leroy, parce qu'il se défend d'avoir écrit une biographie romancée de Zelda Fitzgerald, l'épouse de l'écrivain illustre des années 20.
Et encore, c'est un peu facile. Cela rappelle les clichés vendus depuis des lustres, le couple glamour qui a brûlé ses ailes aux spotlights de la gloire, dans leur jeunesse, et qui a tout perdu dix ans plus tard (trop de scandales, trop d'amour et de haine, trop d'alcool et trop de liaisons sulfureuses).
Et concernant Zelda, il était si facile de la cantonner à son rôle de folle à lier, après avoir été la Muse du brillant écrivain et la Belle du Sud, fille du Juge Sayre de l'état d'Alabama...
Ce roman a les atours d'un journal, de la confession de Zelda du jour où son chemin a croisé celui du soldat Fitzgerald, en juin 1918, dans les rues de Montgomery. Impétueuse et orgueilleuse, Zelda brise les interdits et s'enfuit aux bras du jeune homme pour l'épouser à la va-vite deux ans plus tard.
D'amour, il n'en est déjà plus question tant Scott est imprégné d'alcool et du désir d'être reconnu par le milieu littéraire, élitiste de la bonne société new-yorkaise. Les frasques de Zelda apportent aussi de l'eau au moulin de la presse et c'est un cruel renvoi de balles que se lance le couple. Déjà.
Réfugié en Europe dans les années 20, Zelda va connaître le grand amour dans les bras d'un aviateur français. Son époux jaloux va la « kidnapper » pour mieux abattre l'emprise qu'il souhaite exercer sur elle. Et c'est vers la même période que les séjours en hôpital psychiatrique vont s'enchaîner pour Zelda.C'est bien tout ce qui en ressort : le désir de brimer l'autre, l'étouffement, l'écoeurement, la rancune, la volonté de rabaisser l'estime de soi, l'accaparement et la succession des crimes à feu doux (l'internement, l'alcoolisme, la morphine, les électrochocs, la privation de s'occuper de l'enfant...).
Ce qu'on pensait du couple glamour que fut les Fitzgerald vole soudain en éclats. Ce livre révèle davantage des tourments, de la folie inhérente qui liait Scott et Zelda au point de les détruire. Et c'est tant mieux dans le fond, car « Alabama Song » résonne incroyablement comme la revanche de Zelda. Tout ce qui l'accablait était, en somme, une tentative désespérée de survivre, d'échapper à l'empire du « Grand Homme ».
C'est assommant, redoutable, asphyxiant. La voix de Zelda, à laquelle se prête Gilles Leroy avec justesse et séduction, est un souffle chaud et rauque, celui d'une femme brisée, d'une amoureuse bafouée. Et puis elle est lucide, amère, trompée mais demeure cette enfant frondeuse, cette fille de vieux, comme elle dit, qui est destinée à finir folle et toute seule. Une ancienne orgueilleuse, aussi, qui trouva chez Fitzgerald une échappée belle à son destin de Belle du Sud, une estocade digne de l'effrontée qu'elle pensait être.
« Je l'aime tant, certaines fois. C'est comme vivre dans une sphère de lumière, une aura qui nous enrobe tous deux et se déplace avec nous. Dans ces instants-là, nous sommes éternels. » dit-elle. Ce livre est une autre cloche de détresse, un roman douloureux et mélancolique, dans lequel on s'y perd, par fascination ou par incompréhension.
Mercure de France - 188 pages - 15,00 €
L'avis de Flo &&& celui de Fashion, prêtresse des Happy Few !