Vous n'en aviez pas assez ? ... En poche ! #11
Un nouveau point pour signaler d'autres sorties en poche ! (Pas besoin de dire merci ...)
Michel Tournier revisite les auteurs (et les classiques de la littérature jeunesse) qui ont enchanté son enfance : la comtesse de Ségur, Alphonse Daudet, Kipling, Jules Verne et Selma Lagerlöf. A ce sujet, voici un magnifique passage : « Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson de Selma Lagerlöf. Le livre est là sur mes genoux, splendide dans sa reliure de cuir. Je revois mon père me l'apportant, au retour de son travail, dans ma chambre, à Saint-Germain-en-Laye. C'était en 1932, j'avais donc neuf ans. (...) Ce livre fétiche ne m'a jamais quitté. Il a traversé déménagements, pillages et bombardements de la guerre, cambriolages et incendies de la paix. C'est le numéro 1 de ma bibliothèque. Par lui, en effet, je suis entré en littérature. J'ai pour la première fois découvert ce qu'était un grand texte et que si je faisais quelque chose de bien de ma vie, cela ressemblerait à ce livre. »
La lecture de ce petit livre s'accompagne aussi de références à des auteurs qui me sont totalement inconnus (Aldelbert von Chamisso, Henri Heine, Karl May, voleur et mythomane, autrement connu pour être celui qui lança le western choucroute !). Ce sont des moments saisis au vent, mais qui m'ont laissée assez insensible.
A vrai dire, Michel Tournier passe beaucoup de temps à discuter des auteurs en eux-mêmes au lieu de n'aborder que leur oeuvre et leur importance/influence dans sa vie de lecteur. Par plusieurs aspects, donc, j'ai été un peu déçue.
Cet essai demeure une érudition complète, qui s'ouvre sur la portée de la lecture orale, et va se conclure sur quelques robinsonnades et le pourquoi d'avoir réécrit une histoire déjà existante, inspirée par Defoe. « Mon idée de base était d'étudier en philosophe les effets de la solitude sur un homme. Après vingt années de vie sur une île déserte, que deviennent la mémoire, le langage, la vision du monde, la sexualité, etc., d'un homme ? Ensuite, je voulais réhabiliter Vendredi. Dans la plupart des robinsonnades, il est supprimé. Chez Defoe, c'est un sous-homme. Seul compte Robinson parce qu'il est blanc, chrétien et surtout anglais. Vendredi a tout à apprendre de lui. Dans mon roman, la supériorité de Robinson sur Vendredi ne cesse de s'effriter. Finalement c'est Vendredi qui mène le jeu et enseigne à Robinson comment on doit vivre sur une île déserte du Pacifique. » Une petite lecture précieuse, qu'on feuillette en prenant son temps.
Les vertes lectures - Michel Tournier. Folio, 5.10 €. (lu en janvier 2008)
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Londres, 1946 : Louisa, vingt-huit ans, rencontre dans un bar un homme aux yeux gris qu'elle va suivre chez lui, dans sa maison, où elle deviendra son amante brutalement sur le banc du jardin. Au cours des mois qui vont suivre, la liaison entre Louisa et "Gordon" va s'étirer sur le tempo sacré et incompréhensible du sexe, de la cruauté et la destruction. Ce que lui inflige cet homme est "insupportable", douloureux et en même temps il remplit la jeune femme de béatitude. Elle souffre, mais elle aime ça. Il la domine, mais elle semble se donner à plein corps, de son plein gré, "en esclavage".
Les scènes entre Louisa et Gordon ne manquent pas de perversion. C'est très choquant et révoltant. Impossible d'y comprendre goutte. Cet homme est plus âgé qu'elle, il est psychiatre et se régale à la questionner des heures sur sa chevelure (qu'elle porte longue), son passé amoureux (elle a été mariée), ou ses rêves. Louisa s'emporte, en vain car elle donne à chaque fois satisfaction. Elle plie, courbe l'échine. Il l'appelle "ma douce petite", même après l'avoir violé dans un quartier lugubre, comme si de rien n'était... Bref, c'est inqualifiable !
Ce roman d'Edith Templeton est autobiographique. Paru en 1966, il a longtemps été sous le couvert de la censure. Pas étonnant ! Il faut s'accrocher pour venir à bout de cette histoire. Elle est glauque, un tantinet grotesque mais fatalement fascinante : qu'est-ce qui pousse ces amants à se déchirer de la sorte ? Le rapport de sadisme est impressionnant, décrit avec minutie. Le livre apporte aussi un témoignage sur une amoureuse contentée par la violence combinée à l'acte sexuel. Toutefois, on devine qu'un tel rapport ne peut gratifier ses auteurs, lesquels sont condamnés. A quoi ? La torture, la destruction... la mort ? Voilà un roman bien sulfureux, nébuleux et forcément dérangeant.
Gordon, d'Edith Templeton. 10-18, 8.50 € (lu en novembre 2005)
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Où l'on raconte la mésaventure d'un homme qui a cherché à conquérir l'Amérique. Jérémy Sandre, ou Jerry Sanders, quitte une brillante carrière d'humoriste en France pour tenter sa chance à New York. Or, il devient la victime d'un enjeu géopolitique affligeant - l'entrée en guerre en Irak par les Etats-Unis, contre l'assentiment de la France. Bref, Jérémy est aussi un homme balourd et pataud, qui commet des impairs dans ce climat francophobe. Résultat : il se retrouve presque à la rue, sans cachet, sans spectacle, sans un sou et avec une fiancée qui se fait la malle.
Il faut également ajouter à son actif que l'homme doit gérer des dettes de jeu, des mensonges à sa famille, des conflits avec son ex-femme et la crise d'adolescente de sa fille. Trop pour un seul homme ? Non, car ce n'est pas tout. L'histoire débute en découvrant que Jérémy est emprisonné, accusé d'avoir tué un homme, et l'histoire du roman, c'est en quelque sorte sa déposition auprès de son avocat.
Ce que je retiens de ce livre ? Passionnant ! Intéressant, pétri d'humour, très dynamique - ce qui contraste avec le caractère pitoyable du héros. L'écriture est enlevée, on ne s'ennuie pas et les péripéties du personnage central ne cessent d'être pathétiques, dérisoires, mais finalement réjouissantes. Hélas, on se rit des malheurs d'un homme, et pourtant celui-ci a bien couru après ses misères ! Toutefois, il parvient, à l'aide d'habiles pirouettes, à renverser la tendance et se rendre attachant, héros malgré lui et victime d'un concours de circonstances malchanceuses. "Quand j'étais drôle" devient l'un des meilleurs romans de sa jeune auteur, Karine Tuil. Du plaisir, rien que du plaisir !
Quand j'étais drôle, de Karine Tuil - Le livre de poche, 6.50 € (lu en septembre 2005)
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Solange Fasquelle dresse le portrait de deux soeurs, élevées par leur mère abandonnée par son mari (parti en Amérique, avec une nouvelle femme et un bébé). Nous sommes en 1961, dans la région lyonnaise, dans un cadre bourgeois très à cheval sur les principes d'éducation et de valeurs familiales (et morales). Les jeunes filles doivent trouver un bon parti, faire un riche mariage et prospérer dans le même cercle. Cependant, les demoiselles se rebiffent : l'aînée, Mélanie, se sauve le soir de ses 21 ans pour gagner Paris, et la seconde, Gisèle, persuadée d'être une ravissante idiote, fréquente un garçon et tombe accidentellement enceinte. On retrouve ensuite ces jeunes filles en 1968, puis en 1972, confrontées à l'évolution de la société et des moeurs, les forçant donc à appliquer quelques modifications dans leur mode de vie. Toutes deux ont en commun de grandir sous le joug de la mère, même mentalement. Cette dernière est impitoyable, acariâtre et leur révélera un secret familial qui sera terrible à supporter.
Plutôt intéressant à lire au début, le roman s'encroûte vite dans les longueurs qui rendent la lecture lassante et interminable. Le portrait de cette Folcoche reste cependant attrayant pour toute l'horreur déployée !
Mère, de Solange Fasquelle - Le livre de poche, 6.50 € (lu en mars 2004)
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Quand Louisa-Marie, vingt ans à peine, emménage à Paris pour y faire ses études, elle se dit que 80 m2 sur la place des Vosges, ça doit pouvoir se partager, même avec une presque centenaire. Hélas, ça prend plus de place qu'elle l'imaginait, une vieille, surtout si elle s'accroche à la vie de toutes ses griffes. Une vieille avec ses manies, ses culottes des Trente Glorieuses, son immonde cabot, sa messe télévisée à plein volume le dimanche matin, son aide à domicile. Quant à la jeune, qui pourrait supporter, ses irruptions à l'aube, son flegme, son insolence ? Égoïstes, jalouses, terrifiées par la vieillesse, inquisitrices, solitaires et privées de tendresse, ces deux femmes, bouleversantes, se ressemblent plus qu'il n'y paraît. Par 35 °C à l'ombre, lors d'un mémorable été caniculaire, dans un huis clos irrespirable, les relations s'enveniment. Excédée, à bout de nerfs, la jeune fille commence à caresser des rêves meurtriers. Il faudra bien que l'une des deux disparaisse.
"Mesdames, souriez" est le premier roman d'une franco-américaine de vingt-cinq ans. D'emblée je lui pardonne ses quelques facilités à dessiner une héroïne frivole et obsédée par son apparence et la maigreur de son corps (= Louisa Marie), à dresser le catalogue d'une tribu aux moeurs faciles et folâtres. Pour le portrait de la mémé, dit la Vieille, l'Antique et j'en passe, l'auteur s'attarde encore à quelques clichés un peu faciles, genre Tatie Danielle par excellence. Toutefois, impossible d'être insensible à l'humour que provoque ce face-à-face de deux antagonismes. J'ai été conquise par le rapport haine-amour entre les deux femmes, les abus, la vie impossible, la guerre des nerfs. Par équité certifiée, l'auteur a été généreuse avec l'une et l'autre pour inspirer autant d'amour, de tendresse, de respect et d'agacement. (Du moins, moi je l'ai ressenti comme ça !) Et j'ai dévoré les 200 pages d'une traite. L'envie de meurtre, justifiée ou pas, va-t-elle voir jour autrement que dans l'imagination débridée de Louisa Marie ? Pour le savoir, lisez ce livre !
Mesdames, souriez - de Jessica Nelson. Le livre de poche, 5.00 € (lu en septembre 2005)
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Orphelins de naissance, les personnages de Stéphanie Janicot sont en quête désespérée de se trouver une famille ou de se la créer, même avec des brics et des brocs. (Un peu comme dans le roman d'Anna Gavalda !) Au coeur de cette histoire assez flamboyante, il y a Santa qui a quitté l'Espagne pour s'installer à Paris où elle réside toujours, à près de trente-cinq ans, en étant serveuse dans un bar des Halles. Elle vient de rompre avec son amant et de cette rupture semblent affluer les pires souvenirs venant de son enfance et des traumatismes soulevés par le décès de son père, la mort de son demi-frère, la succession familiale et la mort de son chat.
Dans ce roman, on y croise donc des moitiés de frère et soeur, des fils illégitimes, des enfants perdus - bref, une famille bancale et qui cultive les secrets et les non-dits. Sur plusieurs décennies, la famille Albaràn dessine sa généalogie en effectuant des voyages dans le passé avec retour sur le présent, de manière incessante. Déstablisant au début, l'arbre prend vite ses racines car la lecture nous rend avide, curieux, poussé par le désir de savoir et d'adopter définitivement Santa, Gianluca, Marcantonio et même Colette ! Cela se lit très vite, un peu trop d'ailleurs, avec ce sentiment d'avoir touché une toile émouvante sur les rapports entre hommes, femmes, parents et enfants. En chacun de nous, le besoin de famille est « effrayant » mais peut s'offrir de mille façons. Un vrai cadeau, ce livre !
Cet effrayant besoin de famille, Stéphanie Janicot - Le livre de poche, 5.50 € (lu en avril 2006)
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