Le goût des abricots secs - Gilles D. Perez
« J'écris depuis le lieu d'une disparition. J'ai besoin de ce désert pour faire place à ce qui lentement affleure. La résidence est devenue une immense caisse de résonnance. Chacun de nous veille sur ses fantômes. La tâche est infinie. Mais chacun de nous, peut-être, aura sauvé quelque chose...
Je n'attends rien. Autrefois, anxieusement, j'attendais le sommeil. Et je m'étonnais de ne pas le trouver. On ne peut pas fuir l'absence. Il faut s'y colleter. C'est ce que j'essaie de faire. Manger l'absence de Véra. La prendre à pleine bouche. Attrape-moi si tu peux, m'avait-elle dit. »
C'est un livre qu'on peut tout bonnement considérer comme un roman d'atmosphère, car cela se passe dans une résidence abandonnée par ses habitants, sous une pluie infernale et qui noie le jardin alentour. Seuls le narrateur et le vieil homme, son voisin, hantent encore les lieux de cet abri déserté. On y retrouve et partage des amours perdues, des notes de piano et des souvenirs de ce faste lointain. Le vieil homme pleure son épouse décédée, elle ne jouera plus pour lui 'Les Scènes d'enfant' de Schumann. Et le narrateur n'a plus que la collection de chapeaux pour se rappeler son grand amour, Véra.
Il y a une question qui revient sans cesse : où est passée Véra ?! La narration est si lente à dérouler le tapis rouge, c'est un style aussi, pas une critique négative. A première vue, j'avais jaugé ce petit roman de 90 pages et pensé le lire assez vite. Pas du tout ! Ce livre figure parmi les lectures qui demandent du temps, qui demandent à s'immerger jusqu'au cou, à se noyer dans les lignes. C'est très bien écrit, pas de doute, tout en élégance, laissant flotter dans les airs un goût suranné, délicieux.
C'est enfin un roman qui se passe en dehors de tout : du temps, des lieux, du moment, de l'action. « Le goût des abricots secs » est une lecture peu commune, qui vous imprègne de son aura, et puis qui vous abandonne sur ce constat. Il y a eu, il n'y a plus. Cet amour fou qu'ont connu les deux hommes a nourri leur échange, alimenté le roman de début à la fin, à cela se sont aussi mêlées des images de guerre, d'exil et de clandestinité. In fine, on referme le livre, mais on ne possède toujours pas la clef de ses mystères !
Le Rouergue - 95 pages - 10.00 € (janvier 2008)