Les fantômes du soir - Sébastien Doubinsky
Avec une jolie couverture et une quatrième alléchante, me voilà plongée dans ce livre... pour lequel je m'enchante prématurément ! L'histoire est celle d'un écrivain de 52 ans, dont le 12ème roman figure sur la liste finale du Goncourt. Enfin les lauriers de la gloire ? Cela commence par un passage dans une émission pour la télévision, et c'est le fiasco. Le type s'écroule de son siège, en direct, impossible de sauver la face, de moucher l'animateur arrogant, qui exulte par la même occasion d'obtenir une séquence aussi pendable que dérisoire ! ... La nuit s'enfonce dans l'invraisemblable pour Paul Rubinstein, car en rentrant dans son appartement, il découvre Henry Miller, Lawrence Durrell et Blaise Cendrars assis dans son salon. Illusion d'optique, contre-coup d'un choc violent ou sombre conséquence d'une alcoolémie avancée ?
Parce que le roman va se résumer à cette errance inqualifiable, dans un Paris tantôt austère, tantôt envoûtant, c'est la sinistre complainte d'un écrivain à qui le succès sourit soudain, mais qui refuse de saisir sa chance. Pas avare de confidences, l'homme va nous raconter quelques jours de son incroyable fantasme littéraire. Un chant d'amour ironique à la littérature, qui guérit de tous les maux - selon l'éditeur.
Hélas, j'attendais plus ! Ce livre possède un charme certain, mais qui va s'oublier avec le temps...
Le Cherche Midi - 176 pages - 13 €
Les Constellations du hasard - Valérie Boronad
Un aspirant écrivain débarque à New York avec pour seul bagage son sac marin et une sacoche contenant son manuscrit. Son rêve américain est de rencontrer Paul Auster pour lui remettre son roman et tous ses espoirs d'être édité. Hélas, le garçon se fait voler ses papiers et manque devenir fou. Il erre dans la rue, rencontre un chien puis un vieil aveugle avec qui il fait le deal de mettre sur papier le livre qui court dans sa tête en échange du gîte et du couvert. Très vite, Luc prend en pleine figure toute la beauté de la prose du vieillard, de son parcours et de son histoire. Il s'appelle Alejandro Asturias, c'est un poète qui a quitté l'Europe au début des années 40, pour retrouver son grand amour prénommé Cécilia.
Luc ambitionne toujours de rencontrer Paul Auster et téléphone auprès des attachées de presse pour obtenir un entretien, puis met en place une lecture publique de l'oeuvre d'Alejandro, sous le prétendu parrainage de l'écrivain, et sans consultation du vieil homme. Celui-ci s'en moque, il sent ses jours toucher à leurs fins, pour seul conseil d'auteur à auteur il suggère à Luc d'apprendre à nager dans l'océan. Et Luc s'y emploie avec application !
C'est un rêve américain raconté avec toute la maladresse et l'espoir insensé d'un jeune homme plongé en état de grâce. Il a un mois pour boucler son pari, fait à lui-même. Peu à peu, on ressent toute l'influence de l'oeuvre de Paul Auster, « son Maître », dans cette histoire, mais sans toucher le génie de l'auteur. La copie est aisée, l'imitation impossible. Ce n'est pas une sentence implacable, c'est un constat et un encouragement. Car on ne peut écarter de son esprit les images de Mr Vertigo ou du jeune M.S. Fogg dans Moon Palace pour suivre l'étrange exploration de Luc Kervalec qui le mène sur la voie d'une quête intérieure. Il y a dans ce livre de Valérie Boronad tous les ingrédients austeriens, c'était d'ailleurs un projet audacieux, mais pas totalement abouti. La fin, par exemple, peut être excellente, mais carrément illusoire.
« Parce que drogué je l'étais, je dois bien l'avouer. J'étais complètement shooté, par elle pour commencer, par la longueur de ses jambes et son coeur à vif posé comme un fer rouge sur son visage, par le génie de son grand-père, par l'océan qui m'emportait, par l'écriture qui me faisait plonger tout au fond de moi-même en compagnie d'un poisson, descendant en apnée dans l'inconnu de son sillage. »
Belfond - 184 pages - 17 €
Merci Mathilde W. pour l'envoi !
L'enfant d'argent - Cliff McNish
Un univers étrange et fantastique, qu'on pénètre avec quelques frissons... Bien vite, la chair de poule se confirme, surtout ressentie à travers l'ambiance (glauque), les descriptions (réalistes) et le flot d'émotions et d'actions. Impressionnant.
Cela commence presque normalement, un dimanche, autour d'un repas de famille. Milo, un garçon comme un autre, se met à dévorer de plus en plus les patates, les légumes rôtis et le maïs. Il n'arrête plus et son comportement alarme sa mère et sa soeur. Incontrôlable, l'enfant découvre son corps en pleine mutation et décide de fuir le foyer au plus vite. Direction : Coldharbour. Une ville étrange, proche de l'océan, prise d'assaut par des gangs d'enfants. Thomas aussi vient d'arriver après un long voyage depuis la maison qu'il a quittée, sans savoir pourquoi, si ce n'est qu'il a été poussé par une force invisible, irrésistible. Il fait la rencontre des jumelles Emily et Freda qui flairent dans les décharges pour trouver les enfants hors du commun, et Thomas est du nombre. Viendra se joindre au groupe la petite Helen, puis Walter un géant, et Milo. Ce dernier est le plus impressionnant, le plus énigmatique. Il subit une transformation pénible et douloureuse, face à laquelle ses camarades ne sont que de pauvres spectateurs. En présence de Milo, Thomas perd son énergie car Milo se nourrit de sa Beauté pour supporter sa métamorphose. Toutefois, la vie de Thomas court un grand danger. Alors le garçon décide de bondir et de réagir contre Milo. Apparaît ainsi Le Moment Crucial. (Quel est-il ? Suspense ! ) ...
Dans ce Livre 1, on découvre le deuxième tome de la trilogie de McNish intitulée La Ville d'Argent. La situation semble plus nette depuis l'Arrivée à Coldharbour de l'Enfant d'Argent. Nos jeunes héros mutants ont compris qu'ils allaient être rejoints par tous les enfants du monde, dont Jenny, la soeur de Milo. Tous ont conscience qu'ils sont appelés à guetter la Rugissante, une créature brutale, une bête immense et affamée, une créature venue des étoiles, selon Helen qui est capable de lire dans les pensées. Thomas va partir de son côté pour accueillir cette nouvelle génération d'enfants spéciaux et il va atterrir chez les Déterreurs, dont le chef naturel est Tanni, et sa coéquipière, Parminder. Ce drôle de couple n'a pas fini de surprendre notre jeune héros...
La première partie montre la rencontre des six enfants originels qui vont former le commencement d'une défense contre la Rugissante - cette chose qu'on entend d'abord en fond sonore, sorte de grondement féroce et guère rassurant. C'est aussi l'approche de cette équipe avec des dons spéciaux, qu'on cerne peu à peu. Dans la deuxième partie, la résistance se met en place et l'ennemi prend enfin forme, après n'avoir existé qu'à travers le terme de Rugissante. Elle apparaît vorace et répugnante, accompagnée de deux nouveaux-nés, prêts à engloutir tout sur leur passage, et détourner la vigilance des Protecteurs. Leur cible : les enfants ! Dans ce livre, on assiste avec effroi à la première attaque de la créature.
« Qu'y avait-il de commun entre nous tous ? Je pensai à Walter, à ses hanches colossales. Et les jumelles : leur rapidité d'araignées, leur flair exacerbé. Tous les trois étaient des enfants très spéciaux. Moi aussi j'avais un don, ma beauté. Comme Freda le disait souvent, nous formions une sorte de famille. Je crois même que la fille, Helen, était des nôtres. Dès la première seconde, j'avais eu cette impression. Puis Milo était arrivé. Tout allait bien entre nous, jusqu'à ce qu'il rampe hors des ténèbres ! Qu'était-il ? Simplement un être désespéré et en danger ? Quelqu'un à prendre en pitié, à aider ? Je le croyais, d'abord. Mais si je repensais à ce qui s'était passé, comment nier l'évidence ? Ne s'était-il pas incrusté en moi dès le début ? N'avais-je pas vomi dès mon premier regard sur lui, comme si je savais déjà ? A la seconde même, il avait attaqué, aspirant ma beauté ! Au début, ça ne me gênait pas, mais il n'arrêtait pas d'en prendre ! Et maintenant, alors que je n'en avais pratiquement plus, il en prenait encore ! Depuis qu'il était entré dans ma vie, j'étais malade, si malade maintenant que je pouvais à peine me déplacer ! A chaque minute, je me sentais plus mal. »
Les enfants ont enfin découvert qu'il existait un ennemi de la Rugissante qui l'avait combattue dans le passé et qui vit aujourd'hui au fond des flots. Une équipe d'enfants-océan va donc s'employer à le libérer des algues et de la vase, mais la créature est affaiblie. Le Protecteur peut aussi communiquer par l'esprit et entretient Helen de sa faible consistance. Ses duels avec la Rugissante et sa situation actuelle l'ont profondément amenuisé. Il va cependant aider du mieux qu'il peut les enfants de Coldharbour, car la Grande Attaque approche.
D'autres vérités apparaissent dans ce deuxième livre et concernent Jenny. Son don a été révélé à la fin du livre 1 et aujourd'hui il peut servir d'arme contre l'opposant. En clair, chaque enfant originel doit maintenant exploiter son don spécial pour battre la Rugissante qui, en plus d'être une créature démoniaque, pousse le vice à court-circuiter la télépathie d'Helen pour brouiller les cartes. Le face-à-face promet d'être bouillant !
Un deuxième livre fidèle à l'annonce du départ. Ici l'épisode est plus stratégique, les personnages sont bien en place, leurs caractères affirmés. Ils sont tous attachants à leur manière, et puis finalement on fait abstraction de l'atmosphère lugubre et dégoûtante (bah oui, ça se passe dans la vase, les déchets, etc.). L'idée est bien construite, la narration captivante... bref j'ai été entraînée malgré moi dans cette épopée incroyable.
Il faut noter que les éditions Gallimard ont publié la série en deux livres, alors que l'éditeur anglais proposait trois livres. Petit bémol pour les couvertures françaises, que je ne trouve pas attrayantes. Elles sont dans l'esprit du livre, mais elles inspirent davantage d'y aller à reculons que la curiosité piquée du premier coup d'oeil...
A partir de 14 ans.
Folio Junior - 648 + 247 pages.
Traduit de l'anglais par Bruno Krebs.
Le site de l'auteur : http://www.cliffmcnish.com/
Téo est un fier chevalier, qui joue à sauver les princesses et tuer les méchants. Lorsque sa petite cousine Luce vient s'installer à la maison pendant quelques jours, avec ses yeux tout ronds de bébé, il fait le serment de toujours la défendre. En secret elle est devenue sa vraie princesse, même si ses copains se moquent de lui quand il préfère passer son temps avec elle plutôt qu'au foot... Bientôt Luce va repartir au pays des mangas et Téo aimerait tant la rejoindre !
Une histoire très tendre, très touchante qui a su enthousiasmer la Miss. Elle a adoré cette histoire, été tristounette au moment de la séparation mais a trouvé la fin géniale ! Même si au départ les illustrations en noir & blanc n'étaient pas destinées à la conquérir, elle a su craquer pour le bébé Luce qui est adorable. La relation entre le garçon unique et la petite demoiselle a su lui parler intimement, en plus des clins d'oeil aux mangas (un univers de lecture qu'elle commence à cerner). Ce livre est un mélange de conte féérique à une (presque) initiation à la culture nippone, en quelques clichés, qui n'occulte pas le sujet sur la relation non-conflictuelle entre un bébé et un jeune enfant. Adorable !
Petit Samouraï, texte de Sylvie Deshors, illustrations de Magali Bardos.
Le Rouergue, coll. Zig Zag. 96 pages - 6 €
Pour les 6 - 9 ans.
A suggérer pour les enfants dès 3 ans : la série du Monde Animaginaire des éditions Balivernes, qui proposent un univers enchanteur et poétique, avec des illustrations sucrées (ou c'est tout le sentiment qu'elles donnent !) ...
Trois petits koalas ont un gâteau préféré, qui est meilleur qu'un bonbon, plus délicieux qu'une gaufre ou qu'une crêpe, plus exquis que les desserts les plus compliqués... Miam ! C'est tout ce que cela nous inspire ! En bonus, dans ce livre, la fameuse recette du gâteau au chocolat de Baba ! (Un délice !)
L'hippopotame Tam-Tam ne veut plus jouer du tam-tam tout seul et part convaincre ses amis de venir faire de la musique avec lui. Une manière ludique d'apprendre les noms des instruments ... et des animaux ! Une petite devinette boucle l'histoire.
Koalas Chocolat & Hippopo Tam-Tam - texte de Pierre Crooks, illustrations de Julie Mercier.
Balivernes, coll. Monde Animaginaire. 12 €
Pour les plus jeunes, dès 2 - 3 ans.
La rentrée des classes est un grand événement, toujours un peu stressant. Certains enfants adorent l'école, d'autres moins. Antoine déteste sans hésitation, tellement qu'il planifie la grande évasion. Un petit tour aux toilettes et hop ! le voilà qui disparaît.
En voilà une classe invraisemblable ! Un élève disparaît et la maîtresse organise une chasse à l'homme pour les apprentis détectives. Tous les petits camarades débordent d'imagination folle et abracadabrante, et la maîtresse récompense leurs efforts par une sucette ! Incroyable, non ? !
Ceci a été étudié spécialement pour dédramatiser les craintes et les refus des enfants qui n'aiment pas l'école, ou refusent d'y aller, à travers ce texte rigolo et fort joliment illustré (beaucoup de couleurs). Autre aspect facétieux : le livre propose de retrouver le coquin caché à travers les pages de l'enquête (à la façon d'un Où est Charlie ?...).
Course folle à l'école, texte de Catherine Karnas, illustrations de Fil et Julie.
Les 400 Coups, coll. Ma langue au chat. 8 €
A partir de 5 ans.
La Fin des Mystères - Scarlett Thomas
Ariel Manto découvre dans une bouquinerie un livre rare intitulé La fin des mystères du sombre auteur victorien, Thomas E. Lumas. Excitée, la jeune fille s'accapare cet ouvrage réputé maudit, tous ceux l'ayant lu ont soit disparu soit succombé à une mort terrible. Ceci expliquerait sans doute le départ énigmatique de Saul Burlem, son directeur de thèse, autre passionné par les travaux de Lumas, connaissant l'existence du livre rare mais n'en ayant jamais touché mot, sauf lors de leur toute première rencontre. A la lecture de La Fin des Mystères, Ariel parvient à comprendre ce que l'homme aurait pu chercher à dissimuler. L'histoire fait état d'une formule donnant accès à la Troposphère, un lieu étrange qu'on pénètre en rêve, qui vous entraîne au-delà de l'espace et du temps, dans une sorte de quatrième dimension. Mais Ariel a bravé l'interdit et se trouve poursuivie par deux types blonds, avec une allure d'agents de la CIA, qui veulent mettre la main sur le livre de Lumas en cherchant à s'immiscer dans sa tête !...
Un très beau livre, que voilà, par sa couverture, et par le résumé excitant de l'éditeur. Le livre traîne aussi la réputation de faire un malheur en Angleterre, abreuvé de louanges par des auteurs comme Jonathan Coe et Philip Pullman... Il faudrait être bien difficile pour ne pas risquer un oeil dans cette folle aventure ! Et pourtant, l'espoir fut peut-être trop fort car le résultat ne fut pas à la hauteur de mes attentes. J'ai été profondément déroutée par ce livre, mais alors baladée comme une misérable dans ses rouages ! C'est un roman érudit, captivant, fort mystérieux et admirablement écrit, je le clame haut et fort. Malheureusement toutes ces qualités deviendraient-elles aussi des défauts, au fur et à mesure qu'on progresse dans la lecture ? ... Plusieurs fois je n'ai pas tout compris ce que je lisais, d'autres fois je trouvais certains passages assez longs ou carrément glauques (je pense, notamment, aux scènes de sexe qui ne s'intégrent pas toujours dans le propos) et puis il y a des moments où j'étais totalement transcendée par ce que je lisais, enchantée, emballée, éblouie par la richesse de ce livre.
Impossible, donc, d'être totalement négative ou positive à son sujet. La Fin des Mystères est un roman très divertissant, qui ne repose pas les neurones mais cherche plutôt à les activer, c'est brillant sur plusieurs aspects. Pourtant cela n'enlève pas le sentiment d'incompréhension perçu au cours des 490 pages. C'est un livre étrange, qui vous parle de thèmes aussi divers que la foi, le langage, la pensée, la science-fiction, l'imagination, la mécanique quantique, la littérature et la philosophie. Oui, c'est un opus dense, passionnant, fertile et étourdissant, il mérite qu'on lui laisse une chance, tout en sachant qu'il peut autant charmer que décontenancer. Je crois bien que c'est un livre à ranger parmi les inclassables !
Anne Carrière - 488 pages - 23 €
Traduit de l'anglais par Marie de Prémonville
Glaise - David Almond
Un jour, à Felling, petite ville anglaise bercée dans le culte chrétien, arrive un vieux taxi pétaradant avec, à son bord, Stephen Rose. Nous sommes dans les années 60. Davie et son meilleur ami Geordie, témoins de la scène, observent le garçon se rendre chez sa vieille tante dévote, surnommée Mary-la-Folle. Quelques temps après, Stephen vient à leur rencontre et s'empare de leur morceau de glaise pour faire montre de son talent de sculpteur. Très vite, Stephen Rose leur apprend son projet délirant de vouloir créer un monstre. Davie est fasciné et ne lâchera pas d'une semelle son nouveau camarade.
Toutefois, les rumeurs sur la famille de Stephen commencent à naître. Sont-ce des malades mentaux, des partisans du satanisme, des exorcistes ? Le garçon devient bizarre. A Felling, la mort soudaine de la brute locale frappe toute la communauté, et particulièrement Davie, qui était souvent martyrisé par ce type. Cette horrible coincidence le plonge dans l'embarras. A partir de là, il va peu à peu chercher à se détacher de Stephen Rose.
Voici un roman qui rappelle par bien des côtés le mythe de Prométhée, avec quelques clins d'oeil à Frankenstein ci et là, tant l'histoire est sobre, tendue et établie dans une atmosphère étrange. L'art du mystère est tressé avec un talent indéniable, la mise en scène est impeccable, très pointilleuse, angoissante et troublante. Impossible de lâcher le livre avant la fin. Difficile, aussi, de sortir complètement indemne, car le roman force à se poser des tonnes de questions sur la création, sur l'emprise, sur le bien et le mal. Un roman qui accroche, tout simplement, et qui dérange.
Gallimard, coll. Scripto - 286 pages / 10,50 €
Traduit de l'anglais par Julie Lopez.
Les croissants du dimanche - Annie Saumont
Impossible de décrire ce qu'est le style d'Annie Saumont, ce qu'une lecture de ses nouvelles procure, et c'est à chaque fois la même rengaine. Ici, se passent 19 textes qui ont été écrits à Wellington en Nouvelle-Zélande, mais qui ne laissent pas nécessairement transpirer cette influence.
On y retrouve ce ton saccadé, cette énergie du désespoir, ces histoires courtes où en trois pages tout est déjà dit, pas un mot de plus. D'emblée le baton du théâtre peut retentir, la cloche peut sonner trois fois, le souffle est retenu. C'est ce qu'on attend d'Annie Saumont, la petite phrase qui ripe, et le grand fracas qui suit.
Plusieurs textes vous laisseront pantois, tant par la tenue que la mise en scène. La sentence est claire et sans appel : adjugé, vendu !
Ce qu'en dit l'éditeur ...
Trois pages suffisent à raconter une histoire. Annie Saumont, virtuose de La nouvelle. Le prouve à chaque nouveau recueil. Les dix-neuf brefs récits qui composent Les Croissants du dimanche décrivent avec une justesse implacable ces infimes moments où toute une vie peut chavirer. D'une concision percutante, maîtrisant parfaitement l'art de L'ellipse et de La chute, Annie Saumont sait mieux que personne rendre hommage à ces personnages anonymes, coeurs solitaires, assassins ou enfants battus, victimes d'une société en phase de déshumanisation avancée, et qui puisent encore au tréfonds d'eux-mêmes une irréductible rage de vivre.
Julliard - 184 pages - 16 €
Autre actualité : Gammes (Ed. Joelle Losfeld)
La femme la plus riche du Yorkshire - Fouad Laroui
J'ai aimé la couverture, j'ai aimé le titre et j'ai éludé le sujet. Bien m'en a pris ? Je ne sais pas, sauf qu'il me faut avouer avoir eu recours à un coup d'oeil à la 4ème de couverture car j'ai été un peu décontenancée au début !
C'est donc l'histoire d'un chercheur d'origine marocaine qui arrive à l'université d'York pour étudier l'espèce locale avec soin et attention. Armé d'un petit carnet étanche, l'homme décide d'établir son poste d'observation depuis un pub typiquement anglais où il va y rencontrer la femme la plus riche du Yorkshire, alias Cordelia, ou Corry pour les intimes - et Cruella, in petto. Cette femme est excentrique, arrogante, autoritaire et manipulatrice, elle va agripper notre narrateur et lui promettre des confidences les plus extraordinaires pour alimenter ses recherches. Se livre alors un tête-à-tête saugrenu et espiègle, où l'un tente de résister à l'autre, qui livre avec outrecuidance un étalage de débaûches et de démesures.
C'est éreintant ! Autant le reconnaître. Je me suis égarée dans ce labyrinthe, un peu frileuse à l'humour sarcastique. Mais quiconque recherche une comédie acerbe sur l'Angleterre, les riches, l'ethnologie, les alcooliques et la rouerie saura y trouver largement son compte ! La fin est mauvaise, mais subtile et hilarante !
A bon entendeur, salut !
Julliard - 158 pages / 16 €
Voyager léger - Julien Bouissoux
Tristan Poque écrit toujours, mais sous plusieurs pseudonymes, il a revu ses prétentions à la baisse, au diable la littérature, aujourd'hui il écrit des romans de gare, des polars sombres et austères, sans réel cachet. Pour arrondir ses fins de mois, il accepte aussi d'être lecteur pour une maison d'édition et gobe les manuscrits insignifiants qui, d'abord, boostent son énergie, et puis finissent par le laminer.
Son dernier livre peine à voir le bout du tunnel, sans cesse son intrigue dérape, ses personnages deviennent flous. Au gré des rencontres et des questions bassement métaphysiques qu'entretient Tristan, son Cocktail Mortel boit l'eau.
Heureusement, il y a l'ami Poupou, compagnon de plume, de boisson et d'infortune. Lui aussi connaît le syndrome de la page blanche, au lieu de se miner il décide de se complaire dans l'observation des plantes fougères. Tous deux, paressant mollement sur le balcon du nouvel appartement de Poupou, devisent peu sagement et échafaudent un plan drôle et inventif.
Vous ignorez qui est Tristan Poque ? Alors, vous n'avez jamais lu le roman de Julien Bouissoux, La chute du sac en plastique. Dommage pour vous. Mais quelle chance de pouvoir faire cette rencontre prochainement ! Plaisant et désabusé, le ton de Julien Bouissoux saura vous toucher et vous séduire, en plus de son personnage attachant qu'est Tristan Poque. Héros peu romantique des Temps Modernes, il traîne son spleen et sa cruelle lucidité sous notre oeil charitable. Il incarne à lui tout seul le jeune auteur peu ambitieux, ou forcé de ne plus l'être, qui se trouve au creux de la vague et du dilemme qu'est le manque d'inspiration. Les passages avec l'autre écrivain en manque de veine donnent aussi lieu à des échanges cocasses, un peu tordus, mais qui sont le reflet de cette littérature contemporaine, légère et peu affectée. Ici, les personnages s'ennuient mais ne rasent pas le lecteur. A prendre à la légère, comme le titre !
Editions de l'Olivier - 177 pages - 16 €
Petit dictionnaire chinois-anglais pour amants - Xiaolu Guo
« Personne ne sait mon nom ici. Même s'il lit : Zhuang Xiao Qiao, il ne sait pas dire. Quand il voit que mon nom commence à Z, il abandonne. Je suis l'indisable, Miss Z. »
Non, vous n'avez pas la berlue. Ce n'est pas une petite fille de quatre ans qui vous parle, ni un relevé de fautes de frappe. C'est bel et bien un langage livré dans toute sa crudité, d'une chinoise débarquant à Londres pour apprendre l'anglais, une langue maladroite, truffée de fautes, parfois exécrable et intraduisible, mais qui, au final, se révèle craquante !
La jeune narratrice, âgée de 24 ans, arrive donc dans la capitale anglaise, envoyée par ses parents, pour suivre les cours d'une Mrs Margaret. Elle découvrira très vite les us et coutumes d'un pays qui la déconcerte au plus haut point. Déboussolée dans ses repères, ne comprenant pas le moindre mot, elle erre dans les rues londoniennes, armée de son dictionnaire Collins bilingue. Elle veut tout savoir, tout décrypter, tout piger.
Un soir, dans une salle de cinéma, elle rencontre l'Autre, cet homme de vingt ans son aîné qui va l'héberger sous son toit et devenir son amant. Après la nourriture, la grammaire et les films d'auteurs, la jeune fille découvre l'amour. Et c'est toujours un fossé qui se creuse, le même qui sépare le chinois de l'anglais.
Miss Z pose sans cesse des questions, raconte des « non-sens philosophiques occidentaux », s'étonne de tout et de rien (le passage avec le vibromasseur est piquant !). Forcée de partir cinq semaines pour découvrir le continent européen, la narratrice prend contact avec des notions, comme la solitude, qui échappent totalement à son vocabulaire de chinoise vivant dans un esprit communautaire.
Le contraste entre les deux mondes, les deux cultures est savoureux. Il ne cesse de s'enrichir et de renvoyer à deux fausses vérités qui, sans cesse, se contredisent. Personne ne sort gagnant ou perdant, peut-être l'héroïne acquerra-t-elle une plus grande autonomie, dans son pays communiste ! Un comble, subtil et désarmant.
Absolument hilarant à lire, tour à tour brillant, intelligent et futé, ce Petit Dictionnaire est un roman, mais aussi un carnet de voyage, un journal intime, un recueil avec des mots, des définitions qui rappellent les problèmes du couple et la vision perplexe d'une jeune fille de l'Est sur les travers de l'Occident. C'est aussi un voyage à travers le langage, complexe et poétique, délirant et sensible. C'est tout simplement réjouissant, ça se lit en une goulée et ça vous donne un léger tournis euphorique et grisant, bref un livre à recommander !
Buchet Chastel - 330 pages / 21 €
Traduit de l'anglais (Chine) par Karine Laléchère