Becoming Jane, ou comment (re)devenir fleur bleue
Becoming Jane isn't a conventional biopic. Instead, Julian Jarrold expands on events from Jane Austen's life that may have shaped her fiction. To his credit, he doesn't stray too far from the facts. Kéçako ? En gros, ce film sur Jane Austen n'est pas une biographie formelle, mais juste une histoire romancée adaptée d'après des faits existants, ou s'y approchant, ce film a davantage choisi de raconter ce qui aurait pu servir à influencer et nourrir les romans de Jane Austen.
Nous sommes en 1795, notre délicieuse Jane a vingt ans et nourrit l'espoir insensé d'écrire et de vivre de sa plume. Elle a pourtant conscience du poids qui repose sur ses épaules, les attentes de sa famille pour concrétiser un mariage convenable, sachant que la famille Austen est pauvre comme Job, les garçons peuvent à peine caresser l'espoir de toucher une rente, ne parlons pas des filles ! ... C'est une vérité universellement reconnue qu'un célibataire pourvu d'une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l'on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu'il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l'esprit de ses voisins qu'ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l'une ou l'autre de leurs filles. (1) Au 18ème siècle, donc, les demoiselles ont pour vocation de s'appliquer dans l'art de la broderie, de la musique, de la poésie et de la danse. L'intelligence et l'esprit ne sont alors que des qualités accessoires pour les critères de choix. De la grâce, de la discipline et une santé rayonnante sont des valeurs assurant le succès sur le marché de la chasse aux maris.
Jane Austen ne participe pas à cette foire, elle prend plaisir à se rendre aux bals, supporte le babillage incessant de sa mère qui la verrait au bras de Tom Wisley, neveu et seul héritier de Lady Gresham, mais refuse d'envisager un mariage sans amour. Et c'est vrai que jusqu'à présent, sa seule et véritable passion se trouve dans l'écriture de romans. Et puis arrive, dans cette campagne du Hampshire, un citadin bourré de préjugés, originaire d'Irlande et actuellement étudiant en droit à Londres, où il réside sous la coupelle d'un oncle richissime, juge à la Cour Suprême. Son nom : Tom Lefroy. Il a été envoyé chez des proches pour un séjour de courte durée, le temps qu'il mijote dans son jus. Le galopin manque de maturité, et son oncle le mène par le bout du nez en lui faisant miroiter de le coucher sur son testament. (Le garçon est lui aussi dépourvu de toute fortune !)
Lefroy arrive dans cette société étriquée du Hampshire avec un profond sentiment d'ennui et d'agacement. La première rencontre avec Jane est placée sous le signe de l'irritation, Tom fait prendre conscience à la jeune fille que ses écrits manquent ... d'expérience personnelle. Un défi amusant est alors lancé, un pari muet et taquin, qui consiste à titiller la demoiselle en l'invitant, par exemple, à lire Tom Jones de Fielding (un roman passablement scandaleux, qui remet en cause la morale chrétienne, en faisant la satire de son époque). En fait, le film laisse entrevoir l'allusion sexuelle qui laisse sans voix Jane Austen (elle s'empressera de rédiger une lettre à sa soeur Cassandra pour décharger son trop-plein d'émotions). C'est un vrai capharnaüm dans sa tête, mais une chose se remarque, jamais elle n'a été aussi inspirée pour écrire ! L'histoire laisse ainsi entendre que Jane va prendre pour modèle sa rencontre avec Tom Lefroy pour commencer First Impressions, qui deviendra Pride & Prejudice.
Bon, inutile de s'attarder sur les si et les mais, je sais combien le film n'a pas fait l'unanimité chez les fans, je ne vais pas tomber dans ces versants, j'accorde que certains points peuvent être bien fâcheux pour attester la moralité de l'époque et le caractère de la jeune femme (trop d'exaltation, non ?...). Je ferme aussitôt la parenthèse, car j'ai vu ce film comme un jeu littéraire, ainsi le considère Emjy. Je suis 100% d'accord avec elle.
Ce que je loue dans ce film, c'est son romantisme, sa soif d'émotions vibrantes, son scénario improbable, ses coups de théâtre, ses scènes sirupeuses, ses acteurs (aaaah ! ce James McAvoy !) et sa facilité à faire couler les larmes. J'ai aimé la fraîcheur de cette Jane Austen qu'incarne Anne Hathaway, sa beauté, sa grâce et sa tournure. J'ai fondu devant les regards fripons du Tom Lefroy, interprété par ledit James McAvoy, son sourire en coin, ses yeux qui ne voient que Jane, sa réplique "Jane, I'm yours", son hardiesse et son espièglerie. Ils forment tous les deux un couple frappé du sceau du sacrifice, et on comprend combien le mariage de convenance, le manque d'argent, à cette époque, pouvaient pousser à la folie ! (Du moins, moi j'ai cru devenir folle en voyant les conséquences !)
Je n'entre pas dans la polémique, et j'apprécie simplement ce cinéma de divertissement, où frise l'idée d'une romance qui aurait pu inspirer la trame de Pride & Prejudice. Ni plus, ni moins. (Tom Lefroy, le vrai Mr Darcy ?) Dans cette optique, alors vous perdrez la tête et vous friserez l'hystérie face à certaines scènes déchirantes (surtout vers la fin !). Vous comprendrez comment la tragédie peut nourrir les plus grandes et belles histoires d'amour ! Finalement, ce film dénonce solennellement les travers de l'époque, la condition de la femme, le poids de la société, le rang à tenir, etc. puis vire carrément dans le mélodrame face auquel seul un coeur de pierre resterait de marbre. (Sortez les mouchoirs, mes ami(e)s !!!)
Je sais bien qu'on ne détient pas là une oeuvre remarquable et vraisemblable sur la vie de Jane Austen et sa famille. Cela ne semblait pas non plus être le but recherché, mais à la façon d'un Shakespeare in love le réalisateur a voulu broder un scénario selon lequel la fiction aurait été la conséquence d'une expérience vécue par son auteur. Une simple digression, pas de quoi ruer dans les brancards ! ... Je pourrais émettre quelques tss-tss sur les dernières minutes du film, non mais vraiment c'est poussé loin le bouchon, mais étant donné que j'ai marché à fond dans cette histoire, je vais m'en tenir à mon sourire béat, à mes petites larmes sur la joue et à me dire que c'est drôlement gaga, mielleux et fondant pour mon coeur de midinette. Et j'aime ça ! (J'ai aimé, aussi, saisir au vol les clins d'oeil ramenant aux romans de Jane Austen, les scènes qu'on retrouvera ci et là ...)
Pour les amateurs de vérité vraie, reportez-vous à la lecture de Jane Austen, passions discrètes de Claire Tomalin (Autrement). Il est vrai que le film de Jarrold chamboule l'idée de toute passion discrète chez Jane Austen !
(1) Le fameux incipit de Pride & Prejudice - traduction de V. Leconte et Ch. Pressoir
Credit photos : BBC.co.uk
Becoming Jane, film de Julian Jarrold (Sortie US : Août 2007 ; Sortie France : Octobre 2007).
Distribution :
Jane Austen: Anne Hathaway
Tom Lefroy: James McAvoy
M. Austen: James Cromwell
Lady Gresham: Maggie Smith
Mme Austen: Julie Walters
le juge Langlois: Ian Richarson
Cassandra Austen: Anna Maxwell Martin
Henry Austen: Joe Anderson