Being - Kevin Brooks
"Je respirais, je mangeais, je buvais, je consommais. Je chiais. Je dormais. Je rêvais. Je souffrais. J'étais sensible aux drogues - alcool, anesthésiant. J'éprouvais des sentiments - bons, mauvais. Des désirs. Je ressentais la fatigue. Je pensais à des choses - bonnes, mauvaises, inutiles. Je n'avais pas envie de mourir. Je riais. Je souriais. Je fredonnais, je sifflais, je bâillais. Je fonctionnais comme un organisme. Mais je semblais être fait de matériaux non organiques... Cela n'avait vraiment aucun sens."
Suite à une banale endoscopie, un adolescent de seize ans, Robert Smith, est tiré de son anesthésie et surprend une conversation des chirurgiens penchés sur son corps ouvert, tout de plastique et de métal... qu'est-ce que cela signifie ? Quand, au-delà de la douleur, l'ado bondit et surprend l'assistance, l'arme au poing, et parvient à s'extirper de ce cauchemar. Mais qui est-il ? Quelle part cachée sommeille en lui ?
Pas le temps de réfléchir, Robert s'enfuit et se réfugie dans une chambre d'hôtel. Dans la presse du lendemain matin, il apprend qu'il est recherché par la police pour avoir assassiné un médecin ! Ne sachant plus à qui se fier, ignorant encore qui sont ses poursuivants, Robert va taper à la porte d'une certaine Eddi Ray, une faussaire rencontrée par le biais d'une tierce personne, du temps où sa vie était "normale".
Robert a perdu tous ses repères, il hésite à confier son destin entre les mains de cette fille et pourtant il n'a pas le choix et va la suivre jusqu'en Espagne. De fil en aiguille, une attirance physique les pousse l'un vers l'autre. Cela n'éloigne pas la menace, toujours présente, qui bientôt se présentera à leur portillon.
Quelle pression ! Kevin Brooks, très inspiré par les thrillers vus au cinéma, signe là un roman stupéfiant, écrit à l'arraché, d'une plume froide, terriblement implacable. On étouffe littéralement, on suffoque à l'approche des hommes en costards qui poursuivent le jeune Robert Smith (aucun rapport avec The Cure !) ; cette écriture sans état d'âme et sans fioriture est une volonté d'aller de l'avant, toujours plus loin des limites fixées.
On se sent dans ce livre comme dans un univers filmé (on devine une ambition cachée ?). Bref, ce serait presque génial mais le climat trop rigide rend finalement la lecture accablante. Et puis je suis restée sur ma faim, tout ce qui concerne l'état de Robert Smith et son pourquoi restent dans le flou artistique. Robert a été abandonné à la naissance et a grandi dans des familles d'accueil ; le dernier couple, Bridget et Peter Young, n'existe d'ailleurs qu'à travers la citation. La suite du roman ne se base que sur cette sempiternelle question, qui nous taraude tous : qui est Robert Smith ?
Voilà donc un roman à haute portée psychologique, dramatique et dans la veine du véritable thriller, qui lorgne un tantinet sur la science-fiction... On dépasse les rebondissements (nombreux), les scènes qui font de l'adolescent un personnage cruel et menaçant, mais aussi un type dépassé par ce qu'il vient de découvrir, déboussolé et en quête d'un "moi". On obtient alors un roman qui offre une profonde réflexion existentielle sur l'identité, la mémoire, la solitude de ce garçon hors norme.
La fin ouverte pourrait également inciter à penser qu'une suite est envisageable...
Editions du Rouergue, janvier 2008 - Coll. doAdo noir - 350 pages. 15€
traduit de l'anglais par Ariane Bataille