Chère Anne - Judith Katzir
De passage sur la tombe de celle qui fut son premier amour, la narratrice, Rivi, aujourd'hui âgée de 38 ans, mariée et mère de famille, retrouve le journal écrit pendant son adolescence. C'était un journal qui s'adressait à Anne Franck, au moment où Rivi, privée de l'appui moral de sa famille désunie, avait besoin de se confier. Page après page, l'adolescente mal aimée raconte sa vie quotidienne mais aussi sa passion pour Michaëla, le professeur de littérature qui encouragea sa vocation et lui fit découvrir la beauté, l'amitié et la volupté.
Devenue romancière à succès, la collégienne d'autrefois s'interroge sur la véritable nature de cette relation singulière : une adolescente que son père ignore, une mère absorbée en elle-même ; l'adolescente trouve une jeune femme, disposée à l'écouter, à l'entourer, à lui dire qu'elle est belle et mérite d'être aimée. La jeune femme, mariée depuis peu, est peut-être amoureuse de sa propre image, de sa jeunesse qu'elle pleure encore, même de l'artiste en herbe qu'elle a identifiée chez la fillette. Puisque cette dernière avait appris très jeune à s'emparer des coeurs au moyen des mots.
"Je n'essaie plus de comprendre, maintenant. Je veux seulement revenir sur ces jours sombres de ma vie, qui sont également les jours les plus lumineux, dépouiller les écorces de la maturité qui se sont accumulées sur moi avec les années, traverser les couches du temps, pour arriver au fond et toucher à nouveau, ne fût-ce qu'un instant, ces eaux limpides. Je les regarde et contemple mon reflet - le visage ardent d'une adolescente, aux yeux rayonnants d'amour."
Cette histoire est incroyablement languide et poétique, elle raconte l'éveil érotique et littéraire d'une adolescente de quatorze ans, avec un double regard : celui de la collégienne, curieux et exalté, celui de l'adulte, hésitant et profondément nostalgique. Le roman est décomposé en quatre parties : la rencontre et l'approche, la séduction et la volupté, les conséquences et les remises en question, et fatalement l'analyse, trente ans après. "La chose la plus importante que j'aie apprise d'elle, c'est la force de la volonté. Chaque aspiration, chaque amour commence par une nostalgie, un rêve, si nous osons désirer quelque chose ou quelqu'un de tout notre être, nous l'obtiendrons finalement, même si cela paraît inaccessible."
En marge de la bienséance, il restera de cette histoire des pages et des pages de tendresse, d'érotisme, de délectation, de lascivité... L'histoire d'amour est décrite à travers le regard innocent d'une adolescente romanesque, un canard à lunettes qui deviendra un cygne altier, comme elle se décrit. (Son compagnon lui reprochera d'avoir nourri là des caquetages romantiques de lycéenne !) Le pouvoir des mots transcende cette liaison scandaleuse et contestable, toutefois je suis demeurée très en retrait du propos et j'ai davantage apprécié la fin du livre, après un début lent et alambiqué. Et quitte à me pousser davantage dans mes retranchements, je crois avoir encore plus estimé la qualité littéraire de ce livre, et un peu moins son histoire, trop alourdie avec ses 350 pages. Avis aux amateurs de passions amoureuses, pas si simples, ce livre est pour vous !
Editions Joelle Losfeld, février 2008 - 350 pages - 22,50€
traduit de l'hébreu par Ziva Avran et Arlette Pierrot.