Les moustaches de Staline - François Cérésa
Tout a commencé à Cabourg, un 6 juin. Jean, le narrateur, croise Garance sur la promenade Marcel-Proust. C'est alors un bond de trente-cinq ans en arrière qu'il effectue, le ramenant du temps de son adolescence, lorsqu'il passait ses vacances au Home avec ses parents. Sur la plage, il s'était lié d'amitié avec Garance, aussi jolie qu'intrépide, la fille d'un couple glamour, Yvonne et Paul, propriétaires de la Colline, une splendide demeure où aimait se retrouver une faune excentrique.
Jean, qu'on surnomme le petit campeur, est fasciné par ce monde clinquant, où paradent la beauté, l'exubérance, l'intelligence et l'audace. Yvonne, en tête, est la figure stellaire de ce petit groupe. Elle a trente-trois ans lorsqu'il en a treize ans. Elle est blonde, façon Candice Bergen, porte un petit short rose sur la plage, bronze en tenue d'Eve et elle est amoureuse de deux hommes, son mari Paul et Tom l'aviateur. Jean aussi est amoureux mais il est trop pudique, trop intimidé par tant d'aisance.
Ses retrouvailles inopinées avec Garance sont l'occasion d'évoquer la crème des souvenirs, de faire revivre les soirées folles de la Colline, de suivre la silhouette élégante et sensuelle d'Yvonne, de ne pas comprendre ses épanchements sentimentaux. Car Yvonne Lannes-Perrodeau reste la reine de ce roman, de même qu'elle était la coqueluche de ce petit cercle fermé qui gravitait autour du manoir familial. Elle savait attiser les passions, faire tourner les têtes, rendre fou amoureux, elle séduisait et aimait être séduite, être le centre d'intérêt, c'était une mante religieuse. Jean et Garance ne tracent pas le même portrait d'Yvonne, quand l'un est subjugué, l'autre est jalouse et pleine de reproches. Le temps passant, Garance a décidé de régler ses comptes avec cette mère qui la vampirisait.
Les moustaches de Staline est un roman plein de charme, qui baigne dans une ambiance que n'aurait pas boudé Fitzgerald, faisant aussi écho aux amours de Jules et Jim. C'est tour à tour la photographie d'une ville - Cabourg - vue et revisitée à travers les yeux d'un homme qui a gardé le souvenir ému de vacances mémorables, et c'est également la résurrection d'une époque, avec ses fantômes. Ce séduisant voyage dans le temps réveille des passions, il met aussi en exergue la frustration et la douleur. L'heure de la vengeance a peut-être sonné, en tout cas ce court roman dégaine une langueur et une sensualité indéniables. Et puis plane un petit vent de mystère, sur les motivations de Garance, son étrange jeu de séduction, et la portée de toutes ses réminiscences. Au final, le lecteur est ému, troublé, ébloui et déboussolé. La rencontre avec Yvonne, femme fatale devant l'Eternel, n'est pas sans risque...
Fayard, 2008 - 258 pages - 16€
mise en vente : le 20 août 2008