En espérant la guerre - Dominique Conil
Il y a 25 ans, les journaux ont consacré leur une à l'affaire Pierre Livi, le braquage du siècle, un mas encerclé, une centaine de gendarmes mobilisés, deux morts, une disparition et une femme - Anne Valetta - seul témoin de toute l'histoire. Et cette femme est restée muette, intransigeante, secrète, mystérieuse et donc fascinante.
Léon, jeune journaliste qui souhaite partir en reportage de guerre, se voit confier le gros dossier par son chef. L'eau a coulé sous le pont, peut-être aujourd'hui Anne Valetta va accepter de parler et avouer où est caché Pierre Livi. Mais le petit chemin qui mène à la Baume, où se terre Anne, est long, terre dure, pierres dénudées, ligne végétale et cours d'eau, mais le plus souvent caillasse et ronces poussiéreuses. Là où est la maison le silence est total, rien ne bouge sous le soleil de plomb.
Et puis c'est le malaise. Léon a une migraine fulgurante, il trouve refuge dans la maison fraîche et pas très lumineuse, Anne babille. Car elle accueille cet homme chez elle et le surprend en choisissant de raconter son parcours, mais sans question, sans réfléchir. Un peu comme si elle parlait seule, face à un miroir. Et en échange, elle n'attend rien. « Vous savez, vous ne devriez pas me parler et le regretter. Vous en avez trop dit. Des fois, les gens se mettent à vous haïr quand vous êtes leur dépositaire. »
Ce qui ressort de ce premier roman est le portrait saisissant d'Anne Valetta. Cette femme ne nous dit pas tout, derrière sa façade de Pénélope qui attend son Ulysse. Autant de fidélité désarçonne notre journaliste, lui-même empêtré dans une histoire sentimentale qui part à la dérive. Il n'est pas le seul à ressentir ce vertige de l'incompréhension : Carmen, la fille d'Anne, le dit tout de go. Cette histoire ne concerne que sa mère. « Pierre Livi, c'est propriété privée. Propriété d'Anne Valetta. C'est pas mon père, c'était son mec. J'ai eu que des contes et légendes. Tout ce que je sais, c'est que le héros, il ne s'est pas montré pour moi, que dalle. »
Le désenchantement résonne dans cette histoire, au même titre que l'espoir et la résignation. On y parle aussi d'engagement, d'illusion et de liberté. Anne Valetta raconte, le lecteur dispose. C'est sincèrement un roman d'ambiance où tout se passe dans cette vieille bâtisse qui porte un nom prémonitoire - le Baume du Mal. Et il y a la figure souveraine d'Anne Valetta, implacable et touchante, impénétrable et admirable. Forcément antipathique, agaçante. Mais qui marque.
Au commencement était une histoire d'amour, et elle s'est éternisée, pétrifiée dans l'attente... Ce premier roman en livre les pleins et les déliés avec une constante remarquable, une rigueur parfois déconcertante, car l'émotion est écartée. On s'enrôle dans une histoire de coeur comme on part à la guerre, avec la trouille au ventre et le chagrin d'en garder des cicatrices. Mais ça vaut le coup, rien que pour l'effervescence. Et Léon l'a bien compris. Nous aussi.
Très bon roman, très bien écrit.
Actes Sud, octobre 2008 - 174 pages - 18€
Merci à l'auteur !