La relieuse du gué - Anne Delaflotte Mehdevi
« Cyrano, que je vous prévienne, est mon "androthérapie". Il ne me quitte jamais. J'ai plusieurs éditions de la pièce de Rostand, et toujours une à l'atelier et une à côté de mon lit. J'ouvre le soir le livre de la pièce au hasard. Je lis quelques pages et je m'endors. Mais je ne l'aime pas qu'au lit. J'ai abusé de lui dans bien d'autres circonstances comme lorsque je passais mes examens. Je l'avais tout le temps dans ma poche tel un gri-gri. Je l'ouvrais en attendant les épreuves ou ne l'ouvrais pas. Mais il était là. »
Mathilde, devenue relieuse après une courte carrière de diplomate au Quai d'Orsay, a ouvert son atelier à Montlaudun en Gironde. Elle occupe ses journées à coudre, à coller, à fignoler, à respirer les livres, c'est une passion léguée par son grand-père qui s'est endormi sous un châtaigner. Un matin de très bonne heure, on tambourine à sa porte qui s'ouvre sur un beau jeune homme, un brin mystérieux. Il lui confie un épais ouvrage qu'il viendra récupérer dans quelques jours. C'est urgent, c'est important et c'est secret. Avant de partir, l'homme a un malaise, sa beauté et son aura énigmatique intriguent Mathilde, mais elle le laisse partir sans le questionner davantage. Quelques jours après, elle apprend sa mort brutale.
L'apparition de cet individu reste obsédante pour la relieuse, qui s'interroge sur l'identité de l'inconnu, cherche à percer l'importance qu'il daignait accorder à l'ouvrage, lequel repose désormais entre ses mains, dans son atelier. Mais cette histoire commence à susciter un intérêt un peu trop vif de la part des habitants de cette petite ville, des rumeurs se propagent, des tensions naissent, une enquête a été ouverte. Mathilde elle-même a décidé de retrouver la famille du défunt et de restituer le livre ancien, en pensant ainsi accomplir les désirs de l'homme sans nom.
Ce roman possède, en plus du charme, une odeur et un son. Il est très particulier, tant il voudrait être murmuré ou lu à voix basse. C'est l'impression qu'il me donne, à me sentir coincée dans la ruelle du gué, à croiser des personnalités fortes et originales, à suivre les pas de Mathilde la relieuse. Elle a fait de sa vie une quête pour le bonheur, dans la chaleur des livres qui chuchotent leurs secrets et qui confient leur intimité à ses mains habiles et délicates. Mathilde est une amoureuse, une contemplative. Scrupuleuse, soucieuse et discrète. La rencontre avec l'inconnu qui sent la fougère et la terre fraîche va bouleverser sa petite existence, jusque là bien remplie par Cyrano et ses répliques pleines de panache. Les voisins de la relieuse ont tous des personnalités éclatantes, parmi lesquelles Mathilde apparaît finalement un peu terne et effacée. La relieuse du gué est aussi un roman à l'écriture sensuelle, à l'ambiance chaleureuse et à l'intrigue qui est un judicieux mélange de légèreté et de mystère. Le début est très, très bon. La fin manque de sombrer dans une certaine lenteur, et/ou maladresse. Mais c'est sans importance. L'ensemble de la lecture procure un sentiment de douceur et c'est un roman vraiment très agréable à lire par temps d'hiver !
Gaïa, 2008 - 268 pages - 19€
« On peut lire Bergerac de Rostand comme on le fait d'une carte postale d'été, ou le dire haut, juste pour le rythme facile de la rime. On peut le lire pour rire, pour s'émouvoir, pour s'attarder sur le panache de son héros. Pour bien dormir, on peut prendre le soir, un dialogue au hasard, et faire une toilette de chat de l'esprit, juste avant de sombrer. On peut le prendre au petit déjeuner, pour se donner du coeur et une âme claire, juste une lampée avec son café. »