03/03/09

Est-ce ainsi que les femmes meurent ? - Didier Decoin

41wH_Uw867L__SS500_A la base, le meurtre de Kitty Genovese n'est qu'un fait divers parmi d'autres. Nous sommes en mars 1964, dans un quartier paisible de Harlem. Une femme a été tuée. La police a rapidement arrêté le coupable, lequel est passé aux aveux. Et pourtant l'affaire reste lourde et gênante. En effet, un point a été soulevé. La jeune femme a été poignardée à mort, sous les yeux de ses voisins. Son martyr a duré plus de trente minutes, personne n'est intervenue dans l'intervalle.
Durant l'enquête, ils sont trente-huit à témoigner des cris, des appels au secours entendus, du suspect aperçu sur la scène du crime, du calvaire de la jeune Kitty. Un journaliste du NY Times s'interroge, trente-huit témoins et une passivité commune, comment est-ce possible ?
L'affaire secoue l'Amérique. Plus que l'horreur suscitée par le meurtrier pervers et nécrophile, c'est bien l'impassibilité des habitants d'Austin Street qui provoque l'incompréhension et la révolte. La presse va se jeter sur eux, ce sont des gens comme vous et moi, ils sont respectables et respectueux de la loi. Leur silence nous fait tomber des nues.
L'affaire a eu des retombées, c'est devenu un cas d'école, car on parle désormais du syndrome Kitty Genovese. Il s'agit de la diffusion de la responsabilité, plus les témoins sont nombreux et moins ils se manifestent pour porter secours, chacun pensant que l'autre va bouger le petit doigt.

Comme le souligne l'éditeur, le roman de Didier Decoin se lit dans un frisson. Ce sont plus de 200 pages glaçantes, rapportées avec un sens du détail quasi chirurgical par le narrateur, Nathan Koschel, un voisin qui n'était pas présent ce soir-là. « Sommes-nous curieux jusqu'à l'impudence, jusqu'à l'irrespect ? » Une part de ressenti face à cette lecture me pousse à répondre positivement.
J'ai été un peu dégoûtée par ce livre, que je trouve trop froid, trop dérangeant, trop scandaleux. Il bouleverse, il force à se remettre en question, à se demander qu'aurions-nous fait à la place. Car bientôt, à lire cette histoire affolante, le sentiment de culpabilité se déplace. Il y a le monstre sanguinaire et sans état d'âme, qui trouve sa place toute justifiée à la barre des accusés, mais on sent que la justice trébuche, a envie de marquer le coup. C'est toute une opinion publique qui s'émeut, qui ne comprend pas.   
Un roman terrible, pénible et qui met mal à l'aise.

Grasset, 2009 - 227 pages - 17,90€

l'avis de Jules

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Tu devrais voir quelqu'un - Emmanuelle Urien

41eYAzyiDKL__SS500_Sarah, trente-quatre ans, célibataire, a une passion : l'écriture. Mais jusqu'à présent ses écrits sont raillés, détestés, jetés et cachés. Personne ne peut juger. Et puis un matin, elle se réveille et trouve un homme, assis, immobile, chez elle. Il ne parle pas. Il porte un chapeau et un complet usé. Qui est-il ?

Personnage à la recherche de son auteur ! Voici un peu comment résumer ce livre impossible à raconter. Avec ce premier roman, Emmanuelle Urien (qui n'avait publié que des nouvelles) s'essaie à un exercice difficile, celui de la création littéraire. Le résultat donne une lecture étrange, où la folie et la violence se donnent la main. L'intrigue est brillante et sordide à la fois, l'humour grinçant, et la fin totalement inattendue. Le lecteur est manipulé, mais par qui, c'est une question qu'on se pose longtemps.

(version courte) 

Gallimard, 2009 - 166 pages - 15,90€

le non-blog d'emmanuelle urien : http://www.emmanuelle-urien.org/Tantpisjelaisse/

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Tu devrais voir quelqu'un - Emmanuelle Urien

41eYAzyiDKL__SS500_

(version bavarde)

Au début, cela ressemble à une histoire gentille et convenue, qui en rappelle d'autres. On y découvre Sarah, trente-quatre ans, célibataire. Elle est amoureuse du mari de sa meilleure amie. Et elle écrit, beaucoup. Des griffonnages qui la laissent mécontente et insatisfaite. Qui parfois finissent en miettes dans le bain. Avalés par les égouts. Elle est comme ça, Sarah. Sauvage, entière, exaltée et secrète. Car ses écrits sont personnels, ils remplissent son jardin dont la porte est bien verrouillée.

Et puis un matin, Sarah se réveille et trouve un homme, assis, immobile, chez elle. Il ne parle pas. Il porte un chapeau et un complet usé. Qui est-il ? Elle est seule à voir cette ombre, elle jure qu'elle n'est pas folle, elle préfère se croire malade et supplierait presque que la médecine lui trouve une tumeur pour lui curer le cerveau et lui ôter cette tâche qui l'indispose. Son entourage s'inquiète, le comportement de Sarah a changé. Elle fait peine à voir, elle est incohérente et fuyante. Elle refuse les coups de téléphone, ne répond plus à son amie et fait une croix sur son amant.

Quand elle comprend l'utilité de l'homme en noir, elle choisit son arme : un papier, un crayon. Il faut qu'elle aille au bout, il faut qu'elle écrive pour vivre. Pour survivre. C'est une façon de revisiter le mythe de Prométhée, une créatrice bordeline et sa créature incontrôlable, un rapport malsain, qui rend chèvre. Un truc de zinzin.

On a depuis longtemps dépassé le cadre strict de la bluette sympathique et déjà lue, on pénètre dans l'antre de la folie, et la violence a pris le pas. C'est bien assis et les yeux hallucinés qu'on lit cette intrigue, tantôt sordide, tantôt brillante. L'humour y est grinçant. La tromperie, énorme. On casse sans cesse les contours, les repères deviennent flous... il faut reprendre son souffle, ne pas s'attacher, mais se détacher et tuer. Au centre, c'est la mare aux canards. Ils se débattent tous, ils veulent vivre, ils réclament un bout d'existence, ils hurlent, ils sourient, ils s'aiment ou se quittent. Il n'y a toutefois qu'un maître à bord, quel est-il ? le lecteur ? l'auteur ? le personnage ? Qui manipule qui ?
A vous de le découvrir ! 

Gallimard, 2009 - 166 pages - 15,90€

le non-blog d'emmanuelle urien : http://www.emmanuelle-urien.org/Tantpisjelaisse/

Posté par clarabel76 à 08:29:00 - - Commentaires [0] - Permalien [#]
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