Une année étrangère ~ Brigitte Giraud
Stock, 2009 - 208 pages - 17€
Juste une précision avant de présenter ce roman de Brigitte Giraud, évitez de lire la quatrième de couverture qui raconte TOUT le roman. Je n'ai pas saisi le but...
Ensuite, si vous pouviez lire ce roman en écoutant en musique de fond Seventeen seconds de The Cure, ce serait parfait ! Totalement dans l'ambiance.
De quoi ça parle, donc ?
Laura, une française de 17 ans, part en Allemagne, dans la ville de Thomas Mann, en tant que jeune fille au pair. Elle est accueillie chez les Bergen, le couple et ses deux enfants. Tout semble extraordinairement calme et tranquille chez eux, ça repose et ça change. La française vient de quitter une famille brisée, à la maison l'atmosphère est étouffante, chacun se rejette la faute de la mort de Léo, le petit frère de Laura. Elle-même a beaucoup de mal à soulager sa peine, à exprimer la douleur de ce deuil brutal. Elle a préféré fuir et se plonge dans le quotidien d'une famille allemande, au mode de vie totalement opposé du sien.
Tout est lent, étrange sur le long terme. Laura se sent maladroite et encombrée de son inaptitude. Elle ne parle pas un allemand fluide, elle n'arrive pas à se faire comprendre ni à comprendre les autres. L'ennui s'installe, comme elle le décrit si bien, tout devient mélancolique et sans relief.
Tout doucement, Laura s'installe donc dans une routine, elle dépose la petite fille devant la navette scolaire, elle épluche des pommes de terre et cuisine des gratins dauphinois, elle se rend au supermarché ou à la bibliothèque, elle lit La Montagne magique de Thomas Mann, elle promène le chien tous les soirs, elle étend le linge, elle repasse. Le soir, elle écrit de longues lettres à son frère Simon.
Les échanges avec les Bergen restent rares et bredouillants. Toutefois, l'ordinaire de cette famille commence à se fissurer. Laura s'en rend compte, et c'est avec son consentement tacite qu'elle coule avec eux dans la tragédie qui va les frapper.
A croire que le malheur des autres va réveiller cette jeune fille endormie, anesthésiée par sa propre affliction.
Une année étrangère est un roman qui peut paraître bien amer et morose. Il ne faut toutefois pas s'arrêter à cette impression, l'histoire dresse le portrait d'une jeune fille vidée, passive, qui a largué les amarres et espère être détournée de son passé pour mieux supporter son présent.
Elle s'est coupée de tout - du noyau familial, de sa langue maternelle, de son rythme de vie, de son apparence aussi. Même son propre corps lui semble étranger.
C'est lent, c'est sombre, c'est étrange. Je ne vous dis pas le contraire.
Pourtant c'est aussi un livre intéressant, qui parle de la fin de l'adolescence, du passage vers l'âge adulte, avec coups et blessures, qui ne se voient pas forcément. Cela parle du déracinement, de la perte et de la douleur, on sent perpétuellement la frontière entre la vie et la mort à travers le récit de la narratrice, mais non, non, ce n'est pas du tout morbide, c'est juste le cheminement nécessaire pour sortir du deuil. Puiser le mal jusqu'à la racine (Laura va aller jusqu'à lire Mein Kampf).
Et il faut placer l'histoire dans un décor allemand, frappé par l'isolement, le ciel gris, le froid, la pluie pour comprendre qu'il règne dans ce livre un sentiment de dénuement en plus de la désolation.
Je conçois que tout ceci semble empreint de désespoir, et c'est vrai que ce n'est pas un livre très rigolo ni léger.
Toutefois je ne l'aurais loupé pour rien au monde, parce que j'aime les livres de Brigitte Giraud, avec des hauts et des bas, comme pour tous les auteurs que j'apprécie et que je suis fidèlement. Chaque rendez-vous n'est pas systématiquement gagnant, mais c'est aussi ce qui rend le challenge excitant.
lire les premières pages sur le site de L'Express