Eon et Le Douzième Dragon ~ Alison Goodman
édité par Gallimard jeunesse et les éditions de La Table Ronde
2009, pour la traduction française (par Philippe Giraudon)
520 pages - 19€
Ce roman-phénomène d'Alison Goodman possédait de nombreuses qualités pour séduire et enchanter la lectrice enamourée du Clan des Otori que je suis. Certes, je suis assez perspicace pour m'en détacher, c'est simplement l'époque et l'épopée qui m'interpellent principalement, d'où le rapprochement à trouver entre ces deux lectures. Foin du blabla. En fait, le livre d'Alison Goodman m'a désespérément déçue. La raison principale : sa longueur. Non, non, je ne trépigne pas parce qu'il s'agit d'un roman-fleuve qui dépassent les 300 pages chéries, je connais le bonheur de se noyer dans l'infini. Simplement, l'histoire ici m'est apparue beaucoup trop longue, trop alourdie de détails et de descriptions. Résultat, ça traîne (alors que d'autres y trouveront probablement un placement idéal et inévitable). Je ne sais pas. Lorsque j'ai entre les mains un épais ouvrage de 500 pages, j'en attends un élément incontournable : de suite, il m'embarque ou il me débarque. Et lorsque vous arrivez aux 100 premières pages avec le sentiment d'avoir déjà lu le double, c'est flippant.
L'histoire, pour faire court, est celle d'Eon qui a douze ans et se présente pour être choisi comme apprenti par l'un des douze dragons énergétiques de la chance, c'est-à-dire être initié à la Magie du dragon et prétendre au rang d'Oeil du dragon. En fait, Eon possède plusieurs handicaps : il est infirme avec une jambe boîteuse, a seize ans et se révèle être une fille ! Or, les femmes sont exclues du monde de la Magie du dragon et Eon risque la mort si son secret est dévoilé. Le maître de la jeune fille n'est pas idiot ni inconscient, il sent chez Eon(a) une faculté rare et incomparable, qui se vérifiera très certainement lors de la cérémonie au cours de laquelle le dragon Rat va choisir son apprenti. Je n'en dis pas davantage, sauf que les choses ne vont pas se passer comme il était convenu, en mieux ou en pire, c'est à découvrir. Et Eon va tout bonnement hériter d'une importance considérable à la cour impériale, d'où la jalousie, les rivalités et les trahisons vont apparaître et propulser notre héroïne dans des aventures incroyables.
Je ne blâme pas totalement cette lecture non plus, elle n'est pas ultra enthousiasmante mais elle sait être très intéressante aussi. Le contexte est dépaysant, et pour ceux qui apprécient, les descriptions sont importantes et détaillées. Et contrairement au début assez lent et ennuyeux, l'intrigue va se déployer et devenir excitante (pour aboutir à un final à bout de souffle, oui, oui, je vous le confie sans risque). Et là, grosse frustration, puisqu'il faut attendre l'année prochaine, en 2010, pour connaître la suite ! Bref, avec un minimum de recul, j'ai trouvé le roman déconcertant à force d'osciller entre le très bon et le passable - belle palette de personnages, au passage, mais Eon se montre parfaitement agaçante, à plusieurs égards. C'est ainsi, un yoyo perpétuel. Donc, pas un favori mais pas un déchet non plus. Toutefois, cette impatience d'attendre toutes les réponses dans le deuxième volume prouve bien un certain attachement...
A lire, aussi, pour tous les amateurs de Chine impériale et de dragons : Liu et le vieux dragon de Carole Wilkinson (une série en trois tomes).
Un lien : le site du Théorème de l'escarpin vous propose un concours avec la possibilité de gagner un exemplaire d'Eon le Douzième Dragon !
Etranger à Berlin ~ Paul Dowswell
Naïve, 2009 - 420 pages - 18€
Traduit de l'anglais par Nathalie Peronny
Titre vo : Ausländer
Suite au décès accidentel de ses parents, Piotr a été confié à un orphelinat polonais pendant deux ans. Dans le courant du mois d'août de l'année 1941, des soldats escortant des médecins allemands débarquent pour une procédure de "germanisation". Un par un, les garçons sont mesurés, pesés, étudiés au millimètre près, avant d'être séparés en deux groupes. Avec son physique typiquement aryen, Piotr gagne son ticket pour Berlin et est accueilli chez les Kaltenbach. Ce sont de farouches défenseurs du parti national-socialiste, ils ont trois filles nourries au même sein et comptent bien endoctriner ce jeune garçon de treize ans, très grand, blond aux yeux bleus, très beau aussi.
Piotr devient Peter. Il parle un allemand parfait, il est ébloui par le confort berlinois, adhère à toutes les idéologies de la famille Kaltenbach sans rechigner et intégre les Jeunesses Hitlériennes, où il fait preuve d'un zèle exemplaire. Il n'était pas franchement bien accepté en Pologne, du fait des origines bavaroises de sa mère, et avait essuyé des insultes après l'invasion des troupes ennemies en 1939.
A Berlin, le garçon grandit et apprend à développer son sens du jugement et de la critique, qu'il conserve pour lui, bien évidemment, trop soucieux du climat instable et délateur autour de lui. Il fait la rencontre de la délicieuse Lena Rieter, qui appartient à une famille fort appréciée et respectée au sein du Parti, sauf qu'au-delà des apparences, ce sont des opposants du régime qui n'hésitent pas à venir en aide aux juifs clandestins.
Mais tout ceci ne touche pas encore Peter, ni ne le concerne véritablement. Il mène sa vie sans se poser de questions, il ambitionne d'être pilote dans la Luftwaffen et la compagnie de Lena pimente son quotidien. Ensemble, ils se rendent à des soirées interdites, boivent du gin et écoutent du jazz. Ils se veulent libres et rebelles, à leur façon. Et ils rêvent d'une Allemagne rendue à elle-même, délivrée du fanatisme aveugle.
C'est progressivement que la situation dégénère. Peter s'oppose à la famille Kaltenbach en critiquant la politique du Führer, il découvre également la nature secrète de son tuteur, dont le travail à l'institut pour l'anthropologie, l'hérédité humaine et l'eugénisme cache des expériences honteuses et ignobles, et dans le même temps la ville de Berlin essuie une pluie de violence avec des bombardements répétitifs et virulents.
Nous sommes à un tournant de la guerre, et Peter décide de choisir son camp.
"Etranger à Berlin" est un roman remarquable, par son sujet et par son ton très entraînant, qui donne une lecture très agréable, fluide et attachante. J'ai beaucoup apprécié suivre le parcours de ce garçon Peter, qui va grandir dans un pays où la population agit comme une armée de robots, hypnotisée par les paroles d'un homme fou dangereux. L'auteur Paul Dowswell a su tirer profit de ses recherches en donnant des détails d'une précision mortifiante, comme les décorations de Noël en forme de croix gammée, et des exercices à consonnance xénophobe tirés des manuels scolaires. Du véridique ! Ce n'est pas un livre de trop sur la guerre, c'est un roman convaincant et passionnant. Et à l'égal de La voleuse de livres, le roman de Markus Zusak , il faut considérer "Etranger à Berlin" comme une lecture qui plaira à tous - jeunes et plus.
le site de l'auteur : http://www.pauldowswell.co.uk/
extrait : Peter était soulagé que Segur ne soit pas là. Il se serait mis à rire. En voyant l'expression sincère de ces jeunes filles s'appliquant à chanter les nouvelles paroles, il comprit qu'elles y croyaient corps et âme. D'un coup, il se sentit très seul. Plus il y pensait, plus cela l'angoissait. Fleischer avait raison. Il resterait toujours un étranger - un Ausländer - parmi ces gens. Mais au fond de son coeur, Peter savait qu'il avait raison. Quelque chose en lui refusait d'adhérer à cette adoration totale, à cette foi aveugle et dérangeante que tous les autres semblaient vouer à Hitler et aux nazis.
Il se sentait affreusement déloyal d'avoir de telles pensées en présence de ceux qui l'avaient accueilli comme un des leurs - ou plutôt "réclamé pour la Communauté nationale". Ils l'avaient aidé à oublier le chagrin causé par la mort de ses parents. Son père et sa mère lui avaient toujours donné le sentiment que l'Allemagne était un pays meilleur. Que les Allemands étaient un peuple meilleur. Peter voulait désespérement y croire, malgré le sort des Ostarbeiters qui le hantait toujours dans un coin de sa tête. Et il voulait faire partie de la famille Kaltenbach. Il n'avait jamais vraiment pensé à ce qui lui arriverait s'ils le rejetaient. Serait-il renvoyé en Pologne, ou bien expédié dans l'un de ces camps dont il avait entendu parler ? Il se mit à chanter à pleins poumons, comme pour chasser ces troublantes pensées de son esprit.
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« Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des romans de la rentrée littéraire !
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