"Tell freedom I said hello."
Quel beau roman (oui, déjà par la couverture...) ! Je viens de refermer la dernière page et je suis encore sous le charme ! Je voulais prolonger la lecture, ne pas quitter Rhine et poursuivre sa quête à ses côtés. Que c'est noble, fort et brillant, bien que le fond soit dur et féroce aussi. Qu'est-ce que j'aime ce contraste ! C'est également une intrigue essentiellement basée sur de l'action lente et de l'introspection, cela confère un rythme nonchalant qui n'est pas pour me déplaire non plus.
Nous découvrons ainsi un monde ravagé où les jeunes gens sont condamnés à mourir très tôt (25 ans pour les garçons, 20 ans pour les filles). Dans ce climat de "Too young to die", au lieu de rendre la vie plus éclatante et plus belle, de la saisir à bras le corps parce qu'elle devient plus précieuse car éphémère, c'est tout le contraire qui se produit puisqu'il faut se terrer pour échapper aux kidnappings. Être du sexe féminin n'a d'autres valeurs que d'être une chose - sexuelle, pour la plupart des cas.
Rhine, l'héroïne de seize ans, vit avec son frère jumeau à Manhattan. Depuis la mort tragique de leurs parents, c'est un combat quotidien pour se nourrir et survivre en évitant d'attirer l'attention. Mais la jeune fille tombera dans le piège : droguée, elle sera enlevée pour devenir une épouse d'un jeune gouverneur en Floride. Elle n'est pas seule, deux autres filles l'accompagnent - Cecily et Jenna. C'est un joli harem niché dans un manoir qui croule sous l'opulence, avec des jardins, des couleurs, des senteurs exceptionnels... mais ce décor en carton pâte masque une autre réalité.
Dès l'instant où Rhine se réveille dans ce paradis factice, elle n'a qu'un seul désir : s'échapper. Elle met au point son plan d'évasion en simulant le bien-être et la félicité mais se fait rattraper par ses bons sentiments et sa compassion. C'est ainsi qu'elle se lie d'amitié avec ses soeurs épouses et s'attache à Linden, son époux affable. C'est un jeune homme rêveur, coincé dans une douce utopie, il est également totalement étranger au monde occulte mis en place par son père, le chercheur Vaughan (merveilleusement illustré par un serpent à sonnettes dans les cauchemars de Rhine, ça fait froid dans le dos mais c'est tout à fait ça !).
Finalement, j'ai trouvé un charme vénéneux à ce roman, parce qu'il est troublant mais envoûtant. Les relations transpirent le parfum de l'interdit, les sentiments amoureux ne sont pas sains (des jeunes filles s'amourachent de leur ravisseur), la frontière est mince entre l'acceptation et la répulsion. Entre l'admiration et l'horreur. Il est aisé de s'identifier à l'héroïne, de comprendre son tiraillement, sa résistance passive, sa frustration et son besoin de liberté. Facile de l'accompagner au cours des 350 pages en attendant le moment décisif - à quand le grand plongeon ?! Terrifiant, mais gratifiant. Dernière chose, j'ai apprécié qu'enfin un auteur tente de bousculer son jeune lecteur en abordant des sujets sensibles (polygamie, expérience génétique, comportement abusif et exploitation sans vergogne du corps féminin...). J'espère que les efforts ne seront pas vains, et que cela prouvera quelque part qu'il faut travailler dans ce sens. Pour l'heure, j'applaudis le tour de force !
Ephémère (Le Dernier Jardin#1) - Lauren DeStefano
Castelmore, 2011 - 350 pages - 12,90€
traduit de l'anglais (USA) par Tristan Lathière