A bas le lait de vache. Vive les graines de sésame et l'huile de pépins de pamplemousse.
Et tandis que l'encens de bois de cèdre se répandait dans sa chambre d'enfant ordinaire, j'ai enfin compris ce que le petit nuage d'Elianor me raconte depuis le premier jour.
Il me dit que nous sommes pareils, elle et moi. Que chez nous on respire le même air, qu'on voit la même tristesse chez nos parents, qu'on a beau vivre dans un manoir en ruine ou dans un appart HLM, on a beau se gaver de graines macrobiotiques ou de biscuits Nestlé, on en revient toujours au même problème, à la même sensation que quelque chose ne tourne pas rond.
Car Elianor a perdu sa mère, et moi j'ai perdu mon père.
Noah ne cesse de s'interroger sur la nouvelle élève de sa classe, Elianor, secrète, silencieuse et gracieuse à sa façon. Tous ses camarades se moquent d'elle, notamment sur son odeur, mais elle s'en moque et s'isole dans la bibliothèque ou tourne en ridicule la grosse brute de la récré avec un sourire mutin. Noah est perplexe, admiratif. Oui, il se pose mille questions. Après une période d'observation, le garçon tente donc une technique d'approche et découvre une fillette remarquable, intelligente et futée. Elle cultive aussi un régime alimentaire très strict, en proscrivant tous les acides gras, et recommande à Noah d'agir en conséquence (manger des graines ou boire du lait de soja). Il accepte, mais sur le bout des lèvres (Noah aime la viande, le sucre, les colorants. A qui la faute ?).
Bon, on s'en doute, c'est loin d'être simple et le garçon va inévitablement craquer et faire des tonnes de reproches ridicules à son amie, Elianor aussi va se fâcher avant d'expliquer pourquoi ce régime lui tient tant à coeur. (Elle le fait en souvenir de sa maman, pour respecter son souvenir et se sentir proche d'elle.) C'est ce qu'elle reproche d'ailleurs à Noah, d'oublier volontairement son père (également décédé) pour ne pas avoir à affronter son chagrin. C'est plus facile d'en vouloir aux absents que de reconnaître ô combien ils nous manquent.
Les deux amis vont heureusement se réconcilier, le papa d'Elianor, qualifié de gourou du bonheur et passeur d'amour, va également sortir de sa bulle pour retoucher Terre et la maman de Noah va retrouver le sourire et l'étincelle dans les yeux (non, non, je vous rassure, pas d'histoire d'amour entre ces deux-là !). Il est aussi question d'odeur corporelle dans ce livre (les enfants entre eux sont sans pitié), alors il est donc clairement expliqué qu'il s'agit effectivement d'un mystère de la science, avec possibilité d'alchimie lorsque nos petits nuages (de phéromones) se rencontrent, se comprennent, se reconnaissent ou se fuient.
C'est un petit roman tendre et généreux, frais et drôle, terriblement attachant, avec des personnages adorables, qui tient un discours sur tout et rien, qui touche et fait réfléchir, en plus d'une couverture illustrée par Lili Scratchy qui donne vraiment envie d'en savoir plus. Une belle promesse de lecture.
Mayo, ketchup ou lait de soja par Gaia Guasti
Ed. Thierry Magnier, 2011 - illustration de couverture : Lili Scratchy.