À vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.
Un gros paquet de mots contre une cartouche de clopes. C'est comme ça que tout commence.
Oxymor Baulay, journaliste en planque chez les clochards, rencontre Vaïda, qui se décrit comme le Roi des Gitans. Il a trouvé dans le fond d'une valise un vieux manuscrit dont il n'a que faire. Il propose un échange contre des cigarettes, Oxymor s'empare du texte avec perplexité. Ce récit, anonyme, est la confession de cinq assassinats jamais inquiétés. C'est sa compagne, Louise, qui lui fait remarquer que ce n'est probablement pas de la fiction, mais l'homme est étourdi, partagé entre l'envie de se débarrasser de ce cadeau empoisonné et l'envie d'en savoir plus.
Il confie le texte à son ami Paul qui travaille dans l'édition. Celui-ci s'emballe aussitôt, c'est une bombe à retardement qu'il tient entre les mains, il en réclame l'exclusivité. Oxymor va longuement hésiter avant de signer, mais la réalité sur le terrain prend une vilaine tournure. Vaïda est retrouvé sans vie dans sa caravane, l'auteur anonyme va se venger en saignant une sixième victime.
Très singulière ambiance que voilà ! Ce polar littéraire est brillant, envoûtant et intelligent. Il vous transporte dans le milieu germanopratin où se disputent les droits d'auteur et les campagnes de communication pour rendre populaire un objet aussi neutre qu'un livre sans paternité ! Le flot de spéculations n'en finit pas de grossir, au centre Oxymor Baulay est le parfait anti-héros, mou, fatigué et ne cherchant ni gloire ni fortune. Entre une vie professionnelle sans éclat et un parcours sentimental semé de déceptions, l'homme ne fait ni rêver ni chavirer. Et pourtant, ses défauts sont autant d'atouts pour agacer ou charmer. Il ne trompe pas, il joue cash, il n'a pas un rond en poche, il couche sans aimer, il traîne son amertume dans les rues de Paris avec un aplomb étourdissant. On suit cette lente procession avec intérêt et fascination. Comme le souligne le libraire G. Collard, c'est "un grand frisson de plaisir".
Mortelles voyelles, par Gilles Schlesser
Points, coll. Roman noir, 2012
"Il laissa un message étouffé : — S’il vous plaît, venez vite. Il est chez moi."
Le début du roman fait penser au film d'Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour. Thomas est coincé chez lui, dans son appartement, avec une jambe dans le plâtre. Sa mère s'est absentée parce qu'elle avait un concert à donner, son meilleur pote est en vacances, reste la voisine qui a promis de jeter un oeil sur lui. Soudain, un hurlement dans la rue l'interpelle. Par la fenêtre, il découvre avec horreur un type en train d'étrangler une femme. Il réagit aussitôt, sans réfléchir, mais l'individu le dévisage et le temps s'arrête. Thomas est fait comme un rat.
C'est incroyable ce qu'un petit livre d'à peine 50 pages peut inspirer comme angoisse et sueur froide ! Très vite, le roman nous met dans l'ambiance : atmosphère lourde et oppressante, tension qui monte d'un cran, menace galopante, escalade dans la violence et la folie... C'est peu de dire ô combien cette lecture est flippante ! Mais on en redemande. C'est un thriller pour enfants, qui se lit vite et bien, la mécanique est parfaitement huilée, l'auteur va à l'essentiel, en appuyant bien là où ça fait mal, les poils se dressent sur les bras, et on tourne la dernière page encore un peu sous le coup du stress. De quoi chatouiller les jeunes amateurs de sensations fortes.
L'étrangleur du 15 août, par Sandrine Beau
Oskar éditeur, coll. Court-Métrage, 2012 - design & illustration de couverture : Jean-François Saada