Asphyxie progressive.
Vincent Fournier, salarié d'un centre d'appels, n'en peut plus de subir la pression de ses supérieurs. Son médecin du travail, le docteur Carole Matthieu, est à son écoute. Un soir, après une longue discussion, elle s'empare de son Beretta et lui tire une balle dans la tête. Hop, ni vu ni connu. Le crime est découvert dès le lendemain, la police enquête et Carole fait profil bas. Elle sait qu'elle est coupable mais ne compte pas se dénoncer dans l'immédiat. Elle a l'autre Histoire, comme elle dit, à écrire.
Se présente alors une lente plongée au sein de l'entreprise, de ses arcanes et de ses révélations perfides et dérangeantes. Un réseau oppressant, un cercle vicieux, au centre duquel Carole elle-même est prise au piège. Se consacrant à son boulot corps et âme, elle réalise avec écoeurement qu'elle a été trompée par le système dans son intégralité.
Pour l'anecdote, j'ai terminé ma lecture juste avant d'éteindre la lumière pour dormir. Quelle erreur. Impossible de fermer les yeux après ça ! C'était comme si j'avais avalé une enclume. Je ne cessais de ressasser l'histoire de Carole, femme usée, droguée, abrutie par son monde du travail. L'histoire aussi est sordide et tellement réaliste, elle fait écho aux drames des dernières années (le harcèlement moral au sein de l'entreprise, des employés au bout du rouleau, poussés au suicide, une direction qui encaisse les coups en se lavant les mains, une opinion publique alertée avec un train de retard...).
C'est conscient de cette gangrène qu'on ne décolle plus le nez du livre. Qu'on absorbe ce récit éprouvant, au rythme saccadé, effréné, poussé dans ses retranchements. Ce livre est judicieux, écrasant mais percutant dans son approche. Quelque part j'étais gênée, mais j'étais aspirée par cet appel du vide. Et c'est prise d'un frisson d'effroi que j'ai tourné la dernière page, soulagée, sonnée mais admirative du tour de force.
Les visages écrasés, par Marin Ledun
Points, coll. Thriller, éd. 2012 / Grand Prix du Roman Noir (Festival du film policier de Beaune)