« Le bonheur forcé est un cauchemar. »
Discret et pudique, Spencer Ashby n'imaginait pas que son existence allait basculer dans un tel cauchemar, après une simple soirée à bosser chez lui, tandis que son épouse Christine était sortie pour jouer au bridge avec des amis. Le lendemain matin, Belle, la fille d'une copine de fac de Christine, hébergée chez eux depuis un mois, est retrouvée morte dans sa chambre. Et comme Spencer était seul dans la maison, sans alibi sinon sa parole d'honneur, le voilà désigné suspect idéal !
Aussitôt il refuse cette fatalité mais commet de nombreuses maladresses pour sa défense. Les enquêteurs le cuisinent, même Christine semble soucieuse, puis toute la petite communauté du Maine où ils habitent chuchote dans son dos, des appels téléphoniques anonymes abrutissent leur quotidien, la pression se fait de plus en plus insupportable. Spencer perd pied.
A force d'être passé à la moulinette, de subir des interrogatoires humiliants, de ressasser des faits, des gestes, d'être étudié sur un plan psychologique, Spencer endosse un sens tragique qui le dépasse. Il serait un meurtrier en puissance ? Alors, soit. Cet homme aux abois va craquer.
Dans une atmosphère pesante, chargée par la suspicion générale, on découvre un homme accablé. Et c'est sur cette corde, un mélange de fragilité, de gravité et d'affliction, que se place la narration de François Marthouret (son visage est familier, moins son nom). C'est tout à fait admirable ! La lecture révèle les angoisses, les failles, les mises en abîme. On réalise aussi qu'on ne sait plus ce qu'il faut croire, on est pris au piège de ce delirium et on attend la délivrance ... qui arrive, mais non sans nous frustrer ! Un saisissant Simenon !
La mort de Belle, par Georges Simenon
Audiolib, 2009 - Livre audio 1CD MP3 - 625 Mo / Durée : 4h30
Asphyxie progressive.
Vincent Fournier, salarié d'un centre d'appels, n'en peut plus de subir la pression de ses supérieurs. Son médecin du travail, le docteur Carole Matthieu, est à son écoute. Un soir, après une longue discussion, elle s'empare de son Beretta et lui tire une balle dans la tête. Hop, ni vu ni connu. Le crime est découvert dès le lendemain, la police enquête et Carole fait profil bas. Elle sait qu'elle est coupable mais ne compte pas se dénoncer dans l'immédiat. Elle a l'autre Histoire, comme elle dit, à écrire.
Se présente alors une lente plongée au sein de l'entreprise, de ses arcanes et de ses révélations perfides et dérangeantes. Un réseau oppressant, un cercle vicieux, au centre duquel Carole elle-même est prise au piège. Se consacrant à son boulot corps et âme, elle réalise avec écoeurement qu'elle a été trompée par le système dans son intégralité.
Pour l'anecdote, j'ai terminé ma lecture juste avant d'éteindre la lumière pour dormir. Quelle erreur. Impossible de fermer les yeux après ça ! C'était comme si j'avais avalé une enclume. Je ne cessais de ressasser l'histoire de Carole, femme usée, droguée, abrutie par son monde du travail. L'histoire aussi est sordide et tellement réaliste, elle fait écho aux drames des dernières années (le harcèlement moral au sein de l'entreprise, des employés au bout du rouleau, poussés au suicide, une direction qui encaisse les coups en se lavant les mains, une opinion publique alertée avec un train de retard...).
C'est conscient de cette gangrène qu'on ne décolle plus le nez du livre. Qu'on absorbe ce récit éprouvant, au rythme saccadé, effréné, poussé dans ses retranchements. Ce livre est judicieux, écrasant mais percutant dans son approche. Quelque part j'étais gênée, mais j'étais aspirée par cet appel du vide. Et c'est prise d'un frisson d'effroi que j'ai tourné la dernière page, soulagée, sonnée mais admirative du tour de force.
Les visages écrasés, par Marin Ledun
Points, coll. Thriller, éd. 2012 / Grand Prix du Roman Noir (Festival du film policier de Beaune)