L'histoire du soir #31 : Le petit Cépou, par Pépito Matéo & Bruno Heitz
Saint-Denis, banlieue Nord. Le petit Cépou, un gamin du quartier, passe son temps à regarder ses baskets, en traînant dans le tram pour échapper au contrôleur, qui a un visage d'ogre. Chez lui, ce n'est pas la fête non plus, tous les soirs à la même heure, les Perrault regardent les jeux à la télé et rêvent de gagner au loto. Il faut dire que, avec sept gosses à nourrir, le père sans boulot et la grand-mère qui s'est cassé le fémur, c'est un peu dur !
Un matin, les Perrault ont un plan et envisagent de semer les mômes dans la jungle des Halles. Entre les multiples stations de métro, les panneaux publicitaires, le monde partout, les visages faussement souriants, viennent aussi les grimaces et les pleurs lorsque les enfants réalisent qu'ils sont perdus. Le petit Cépou, le plus rusé de la bande, calme le jeu et entend ramener ses "ginfrans" à la maison grâce à des chewing-gums semés en chemin.
Dans cette version urbaine et moderne, le Petit Poucet trouve une seconde jeunesse. L'humour y est grinçant, le style enlevé, pour une lecture agréable et humoristique. L'histoire était déjà parue dans la collection "Mini Syros, Paroles de Conteurs" en 2009, mais il fait aujourd'hui peu neuve grâce aux illustrations de Bruno Heitz, un format plus grand et un cd où l'auteur, Pépito Matéo, laisse éclater sa gouaille avec brio. C'est drôle, impertinent et décalé.
Le petit Cépou, par Pépito Matéo et Bruno Heitz (Syros, éd. 2012)
Les Ombres grandissent au crépuscule, par Henning Mankell
Je ne connais pas beaucoup Mankell, à part ses romans policiers avec Kurt Wallander, j'en avais une image un peu froide et déprimante, comme souvent avec les auteurs nordiques. Sa série pour les jeunes lecteurs est donc particulièrement surprenante, dans le sens où le ton est décalé, avec un humour espiègle, qui prête à sourire. Une chouette lecture, franchement savoureuse. Au centre, nous avons un garçon de 12 ans, Joel, qui ne connaît rien à la vie, qui vit dans sa bulle et qui a un esprit débordant d'imagination.
Le gamin vit seul avec son père Samuel, sa mère a quitté le foyer et n'a plus donné de nouvelles. Elle existe sous le prénom de Jenny, et puis c'est tout. Bref, l'histoire commence au moment où Joel traverse la rue sans regarder et passe sous un bus. Il se relève sans la moindre égratignure, un vrai miracle ! Par contre, le garçon est perplexe et s'interroge. Maintenant, que doit-il faire ? Accomplir une bonne action pour remercier d'être un miraculé ? Oui, pense-t-il. Alors il choisit d'aider son amie Gertrude, défigurée depuis son opération bâclée, car sous ses airs de folle, elle est complètement désespérée. Il est temps de lui trouver un amoureux pour lui changer les idées !
Le garçon doit d'abord trouver le candidat idéal, ce qui n'est pas facile lorsqu'on habite une ville minuscule, au fin fond de la Suède, sans la moindre activité fédératrice, si ce n'est boire un verre au bistrot, se chamailler ou danser au bal du samedi soir. Joel prospecte, scrute et tâtonne, il envoie des lettres d'amour, donne des rendez-vous secrets, et puis cela devient trop compliqué pour lui. En fait, il n'a aucune expérience du monde des adultes, tout le dépasse et il fait pire que mieux.
Le cadre est posé, c'est à la fois tendre et cocasse, avec une brochette de personnages attachants, beaucoup de fraîcheur, d'innocence et d'excentricité. On suit l'intrépidité du garçon avec enthousiasme, et même si son aventure tourne au vinaigre, on espère pour lui et son petit monde que le soleil brillera à nouveau. Il y aura d'autres livres de la sorte, avec Joel Gustafsson, l'auteur en a écrit quatre tomes, le premier (A Bridge to the Stars) n'a pas été traduit, le prochain (When the Snow Fell) est prévu pour l'automne 2013. La couverture française est signée Olivier Balez. Le titre, très beau, donne une idée de la touche de poésie qu'a su apporter la traduction, très soignée.
Seuil, 2012 - traduit par Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres
illustration de couverture : Olivier Balez