Un lave-linge émotionnel
Monsieur Mourlevat est un escroc : dix petites textes, dix petites histoires à déguster sur le pouce, dix anecdotes qui font sourire ou grincer des dents, dix brèves rencontres, dix portraits qu'on saisit à l'arrache, dix petits tours et puis s'en vont. C'est trop peu ! D'emblée, je l'avoue, j'aime infiniment la plume de cet auteur et lui attribue sans hésiter mon total dévouement. Par contre, j'admets préférer, très largement, lorsque l'auteur nous entraîne dans un monde plus travaillé, plus abouti, dans une histoire qui dure des pages et des pages, en bref j'aime le romancier, moins le nouvelliste.
Sur ces dix textes, j'ai aimé certaines histoires plus que d'autres, normal, j'ai souri en lisant les chutes, je n'ai pas frissonné non plus, j'avais d'ailleurs anticipé quelques intrigues et autres sorties de route, je l'ai vu venir aussi avec son dernier texte, qui boucle le livre, la fameuse histoire sur l'escroc, oui Monsieur Mourlevat, vous méritez ce titre ! Je reconnais que l'ensemble est élégant, un poil cynique et teinté d'humour noir, mais franchement, quelle frustration tout de même ! Vivement un vrai, bon, gros roman.
A compter de cet instant, Mme Maréchal eut la sensation qu'on l'avait jetée dans un lave-linge émotionnel, qu'on en avait fermé la porte et pressé le bouton on. Le tambour s'était mis à tourner à grande vitesse, la brassant, la battant, la ballottant, la roulant, la cognant sans relâche.
Silhouette, par Jean-Claude Mourlevat
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 2013
La Décision, d'Isabelle Pandazopoulos
Une émotion brute, douloureuse et si lourde.
Louise est une excellente élève en Terminale S, entourée de nombreux amis et d'une famille aimante. Un jour, en classe de maths, elle sort précipitamment et se réfugie dans les toilettes où un camarade la retrouve, inconsciente, dans une mare de sang, avec un bébé sur le ventre.
Déni de grossesse. Le mot est lâché. A tour de rôle, les acteurs et spectateurs de cette histoire vont prendre la parole, expliquer, raconter, tenter de comprendre. Louise prétend n'avoir jamais couché avec un garçon. Ses parents sont effondrés. La jeune fille ne veut rien entendre de cet enfant qu'elle a porté neuf mois, sans jamais se douter de son existence. Tout, mais vraiment tout, est inexplicable, insensé, incroyable.
C'est tellement ahurissant qu'on est pris dans l'engrenage et qu'il devient difficile de lâcher le livre. Alors on tourne les pages de plus en plus vite, on a la boule au ventre car ce que vit Louise est purement, simplement et admirablement bien décrit. C'est de l'émotion brute, douloureuse et si lourde. On ne naît pas femme, ni mère, on le devient. Et encore, c'est un précepte qui trouve ici une autre interprétation.
J'ai été happée par cette lecture qui a su éveiller des sentiments forts et troublants, parce qu'à côté du parcours de Louise, on part aussi dans une enquête pour savoir ce qui lui est arrivé, notamment grâce à Samuel, un copain de classe, qui scrute son entourage en se doutant que quelqu'un est complice mais préfère se taire. C'est ... flippant, atterrant, mais ça vous fige le cœur et la tête bien sur vos épaules, vous revoyez toutes vos convictions ébranlées et vous ressortez de cette lecture un peu sonnée, mais tremblante d'une belle émotion.
Extrait :
Louise avait caché tant de choses. Elle avait la volonté farouche d'entretenir avec chacun d'entre nous une relation à part, singulière et secrète. Comme si elle était faite d'une multitude de mondes étanches, refusant de faire des liens, préservant sa part d'ombre.
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(...) On leur avait toujours dit avec Mathilde qu'ils étaient des enfants-accidents, le plus beau des hasards, mais des hasards quand même... Était-ce ça qui nous rattrapait aujourd'hui ? Quelques mots malheureux et toute une vie qui s'écroule ?
Gallimard jeunesse, coll. Scripto, 2013