Le prix amer des rêves. (Purge)
1992, quelque part en Estonie occidentale. Seule dans sa ferme, Aliide Truu découvre une jeune femme en piteux état mais hésite avant de lui offrir le gite. C'est peut-être une ruse pour tenter de l'abattre ? Que craint-elle donc ? Après tout, Zara n'est qu'une paumée. Son histoire, elle n'ose pas la confesser, plus par honte que par mesquinerie. A la place, elle préfère raconter qu'elle se cache pour fuir son mari, en attendant de pouvoir rejoindre la Finlande.
Mais Aliide Truu est une vieille dame méfiante, sévère, froide et sans cœur. C'est ce qu'on croit, c'est ce qu'on découvre aussi, à travers son histoire qui commence à la fin des années 30, où elle était jeune, belle et insouciante, avec son sœur Ingel. Aliide Truu rêvait du grand amour, pour lui elle aurait été prête à tout, quitte à subir l'humiliation des arrestations abusives, des interrogatoires musclés et des tentatives d'intimidations. Aliide Truu a su se forger une carapace, tout en continuant de nourrir une passion obsessionnelle pour cet homme qui en a préféré une autre.
Comment la jalousie, la rancune et la rancœur ont pu aiguiser ce cœur meurtri ?! C'est ce qu'on ne cesse d'apprendre, de suivre, au fil du temps qui passe, à travers l'histoire d'un pays aussi, l'Estonie et ses trente années d'invasion, d'oppression, de propagande, d'exil et de déchirure. La vie d'Aliide Truu est jalonnée de souffrances et d'amertume, ce qu'on ressent pour elle est aussi un mélange de pitié, d'écœurement et de tristesse. La rencontre avec Zara va encore la déstabiliser, puisque cette jeune femme abusée, enlevée pour travailler à Berlin, en tant que prostituée, a vu ses rêves briser, à l'instar d'autres incrédules pensant trouver la richesse à l'Ouest...
Certes, ce roman est sinistre, âpre, douloureux et violent. Mais ses non-dits et ses mensonges rendent la lecture intense et captivante, car elle nous attire dans sa bulle pour nous chuchoter des mots durs et cinglants, pour dévoiler des secrets de famille et autres drames intimes. On se sent le cœur comprimé, à plusieurs reprises, et pourtant à aucun moment je n'ai eu envie d'aller voir ailleurs, de me sortir de cette emprise, car j'avais vraiment envie d'en savoir plus, je m'étais attachée à l'histoire, à ses personnages brisés. J'ai aimé cette lecture, lue par Marianne Épin, sur des accents graves, proches de la panique ou de la folie, comme pour mieux souligner toute la démence qu'ont hélas traversée les deux femmes.
Purge, par Sofi Oksanen
Audiolib / Stock, coll. La Cosmopolite (2010) - traduit par Sébastien Cagnoli
Texte intégral lu par Marianne Épin (10h08 d'écoute)
Prix Fémina Étranger 2010 - Prix Roman Fnac 2010
existe en format poche