Les Pénates, de Vincent Sorel & Alexandre Franc
Pierre est passionné par son travail et les grandes catastrophes de l'Histoire. Marié et père de famille, il délaisse leur compagnie pour s'enfermer dans son bureau à rédiger son livre sur Titus. Un soir, il accueille chez lui son meilleur ami Simon, marqué par un drame personnel, et lui confie sa conception de la vie de couple : « Je suis comme un archéologue découvrant les traces d'une vie passée. » Et de fait, la symbiose conjugale s'est éteinte, laissant place à une routine écrasante. Véra est à bout de nerfs, elle se sent seule et aigrie. Enrôlée dans une existence qui la lasse, Véra réalise qu'elle « n'attend rien d'autre, maintenant ».
Cette représentation du couple en crise est saisissante d'authenticité : émotion à fleur de peau, sensation d'amertume, remise en question, fâcherie répétée et sentiment d'impuissance... bref, le portrait n'est pas joyeux mais pointe du doigt les petits travers qui grippent la belle mécanique. Ça sent le fatalisme désabusé !! Et pourtant, le dessin est agréable, simple, doux, aux couleurs tendres. On éprouve une totale empathie avec les personnages. Seul le scénario divague un peu, sur la fin, avec la rébellion des pénates de la petite Bérénice (ses peluches) et l'idée saugrenue de frapper Pierre d'une grave maladie.
Mais le scénario d'ensemble est très bon, exploité avec une grande justesse. On peut facilement se retrouver dans cette radiographie d'un couple en péril. C'est mi-figue mi-raisin, à l'image de notre société constamment insatisfaite.
Casterman, coll. Professeur Cyclope, août 2014 ♦ Initialement créé dans le périodique numérique Professeur Cyclope, Les Pénates est ici proposé dans une version augmentée de 6 pages et spécialement retravaillé pour l'édition papier.
L'Homme aux cercles bleus, de Fred Vargas
« Victor, mauvais sort, que fais-tu dehors ? »
Un Fred Vargas tout jeunot (1996), qui nous introduit un Jean-Baptiste Adamsberg fraîchement promu au commissariat du 5ème arrondissement... here I go ! Et de le découvrir faire ses premiers pas auprès d'une équipe pantoise face à ses méthodes de travail peu orthodoxes : l'homme se perd régulièrement dans de longues réflexions intérieures, les bras croisés sur son buste, se livre à du gribouillage sur un bout de papier posé sur les genoux, ou se balade la nuit, souvent près d'un cours d'eau... il dort peu, et rarement seul. Adamsberg n'est pas un romantique, mais son âme est torturée par les souvenirs d'une petite chérie, silhouette fugace, croisée, aimée puis échappée sans crier gare. L'homme est nostalgique et a le cœur ravi.
Pas étonnant que son intérêt de flic s'arrête sur des affaires sordides, comme ces cercles bleus qui pullulent dans Paris. Il prévient Danglard, ça s'annonce mal. Un matin, ça va saigner... En attendant, il rencontre une océanographe de renom, Mathilde Forestier, qui se vante d'avoir croisé l'homme aux cercles bleus et d'être capable de le reconnaître. Adamsberg, forcément, est interpellé et pénètre dans l'appartement cossu de la scientifique, où se côtoient d'autres figures insolites : un bel homme aveugle et une vieille dame solitaire, accro aux petites annonces. Ce refuge de bras cassés est aussi l'antre des soirées arrosées, à soliloquer sur le monde et sur l'enquête du commissaire. Franchement, on sourit, on jubile, on gobe tout et on en redemande.
Ah mais c'est redoutable, sous couvert de tendres excentricités, on ne soupçonne pas l'incroyable ingéniosité de l'intrigue. Et c'est écrit avec rondeur, en jouant sur les mots, en se moquant des personnages avec affection, en distillant de l'humour aussi. Bref, c'est décalé, un brin philosophe, finaud et clairvoyant. On se régale ! Mais à quand une nouveauté, madame !??
Audiolib, août 2014 ♦ texte intégral lu par Jacques Frantz (durée d'écoute : 6h 23) ♦ disponible aussi aux éditions Viviane Hamy ou en poche J'ai Lu