Le Voyage de Pippo, de Satoe Tone
Attention, pépite ! Mes clichés ne rendront jamais assez compte de la richesse des illustrations (ouh, cette luminosité presque hivernale qui plonge les foyers dans une ambiance caverneuse...), mais je vous invite à courir d'urgence dans une librairie pour en prendre plein les mirettes.
Voici Pippo la grenouille, qui hélas ne sait plus rêver. Pour s'endormir, Pippo compte les moutons et fait la rencontre d'une brebis « qui sait voyager dans les songes ». Elle accepte de l'emmener avec lui, pour un voyage fantastique et merveilleux, au fil des saisons, parmi des paysages de toute beauté, où...
Les coquelicots rêvent de s'envoler dans la brise, un poisson d'avoir des jambes pour partir en vadrouille, un banc de méduses de valser au grand bal des étoiles, des libellules de bourdonner leur envie de voir le monde, un oisillon d'avoir des amis pour parler ensemble...
« Avril et le printemps éclaboussent tout autour, Pippo court le cœur léger, car maintenant, il sait. Il sait que la petite brebis ne lui a pas seulement appris à rêver, elle lui a ouvert la route de l'amitié. »
Avec des valeurs aussi nobles et apaisantes, cette histoire nous absorbe comme une grosse vague d'émotions cherchant à tout submerger sur son passage. C'est tout simplement magnifique et ensorcelant. Les illustrations aussi sont sublimes. Les couleurs aux teintes pastel sont douces et enveloppantes. Une étrange sensation cotonneuse nous assaille, mais c'est divinement bon !
Cet album a été auréolé du Premier Prix de l'illustration à la Foire internationale du livre Jeunesse de Bologne 2013.
éditions Nobi Nobi, novembre 2014 ♦ traduit et adapté par Alice Brière-Haquet
Mina, juste avant le dernier arbre, de Thierry Laval
Mina habite une ville étouffée par de gros nuages noirs, à travers lesquels des oiseaux tentent de zigzager pour mieux « éclairer les rues de leurs couleurs joyeuses ». Mina y est très sensible, mais comprend qu'un danger les guette. Lorsqu'une ombre terne et lourde commence à s'écouler lentement, sur les façades des immeubles, dans les rues, sur les voitures, etc. la fillette s'empresse de partir, avec Pissenlit, sa plante qui n'est pas un pissenlit, mais sa confidente.
Toutefois, au cours de sa fuite, Mina croise des olibrius qui, tour à tour, la poursuivent, la sauvent ou veulent se saisir de sa plante. Partout où elle va, l'enfant est cernée par des « zozos voleurs qui se font aussi voler » ! Quel micmac. Et toute cette aventure se passe dans un univers bigarré, une dimension onirique, où l'on comprend néanmoins que la terre est polluée, malade, gravement contaminée et qu'une petite plante verte prend une valeur symbolique inestimable.
L'excentricité de cette fable écologique peut surprendre et dérouter les plus jeunes lecteurs, même si les illustrations de Thierry Laval ressemblent à des images de dessin animé farfelu. L'auteur veut faire simple, tout en cherchant à titiller sa cible. Il adopte aussi pour son histoire un ton insolite, au vocabulaire fleuri et très imagé, à mi-chemin entre la poésie et le loufoque.
« De lascars déterminés en trublions étourdis, de drôles de zouaves en hurluberlus éberlués, de futés lurons en fripouilles confirmées, d'escogriffes bringuebalants en zinzins guignols, c'est tout un équipage que Pissenlit semble emmener à sa suite. »
C'est plutôt cocasse, non dénué d'une grande sensibilité, mais assez déconcertant, si bien qu'il est important d'accompagner l'enfant dans cette lecture.
Gallimard jeunesse, coll. Giboulées, novembre 2014
Louis 1er, Roi des moutons, par Olivier Tallec
Le vent souffle sur les prés, quand soudain une couronne atterrit aux pieds de Louis le mouton. Haussement de sourcils. (On imagine.) Notre ovidé est frappé d'une illumination : le destin vient de le désigner roi ! Louis Ier, roi des moutons. Acclamation de la foule, s'il vous plaît.
Et le voici en train de se prendre au jeu : besoin d'un sceptre, d'un trône, de suivants, d'un domaine paysager... Louis assoit son pouvoir mais se montre de plus en plus exigeant. Il a la folie des grandeurs et adopte une attitude de despote. Il développe aussi un goût prononcé pour la guerre et décrète des lois ségrégationnistes (il bannit les plus moches de sa cour).
Notre bon Louis ne touche plus sol, avec ses ambitions démesurées. Heureusement un nouveau coup de vent viendra lui rafraîchir les idées !
Ce portrait est irrésistiblement drôle, en épinglant nos grands de ce monde qui basculent de l'autre côté de la barrière, aveuglés par leur soif du pouvoir, qui leur fait perdre toute objectivité. C'est raconté en toute simplicité, mais avec grande finesse. Les enfants ne manqueront pas de saisir les nuances et hueront haut et fort ce Roi des moutons, atteint du ciboulot !
Olivier Tallec fait preuve d'une grande maîtrise et excelle dans l'humour mordant à travers cette fable philosophique, qui fera réfléchir. Bingo !
Actes Sud junior, septembre 2014