En poche ! # 39
Actualité florissante pour 2 auteurs que j'affectionne, Nathacha Appanah (En attendant demain, chez Gallimard) et Kazuo Ishiguro (Le Géant enfoui, aux éditions des Deux Terres). Pour l'occasion, Folio réédite 2 titres ... entre plaisir et découverte. ☺
Blue Bay Palace, de Nathacha Appanah
Folio, rééd. 2015
Première parution en 2004
« Je me suis redressée brusquement et une goutte de sueur s'est échappée derrière mon oreille. Elle a suivi un moment la ligne de ma mâchoire, a glissé le long de mon cou pour trouver son chemin entre mes seins. Aujourd'hui encore, je la sens, cette trace première qui m'a marquée jusqu'au creux de mon ventre. Je regardais en silence ce garçon qui se tenait devant moi et tout ce que je sentais, c'était cette goutte de sel qui me caressait l'oreille, la mâchoire, le cou, la peau tendue entre les seins pour mourir dans mon nombril. J'ai eu l'impression stupide et pourtant si agréable que c'était son doigt qui descendait lentement, lentement... »
Maya, une jeune beauté de dix-neuf ans, vit à Blue Bay où elle travaille au Palace, qui accueille les touristes fortunés. Folle amoureuse de Dave, patron du restaurant, elle découvre sa trahison en apprenant ses fiançailles dans le journal local. Dès lors, la jeune fille blessée décide de se venger en prenant pour cible “l'autre” qui a brisé son bonheur.
Cette spirale de la folie amoureuse est rapportée de façon étonnante, avec des termes lumineux et enflammés, qui entrent en symbiose avec le décor paradisiaque. Et pourtant, la réalité décrit une violence passionnelle, vouée à la tragédie, et les clivages sociaux de cette île qui ne vit que du tourisme. Quel contraste ! L'effet est saisissant, mais c'est magnifique et bouleversant.
Auprès de moi toujours, de Kazuo Ishiguro
Trad. de l'anglais par Anne Rabinovitch
Folio, Nouvelle édition 2015
Kath, Ruth et Tommy ont été élèves à Hailsham dans les années 90, une école idyllique, nichée dans la campagne anglaise, où les enfants étaient protégés du monde extérieur et élevés dans l'idée qu'ils étaient des êtres à part. Bien des années plus tard, Kath raconte cette enfance, en apparence heureuse, qui n'a jamais cessé de les hanter, au point de corrompre leurs vies d'adultes.
La force de ce beau roman réside dans son charme mystérieux et romantique, alors que l'on découvre son histoire avec autant d'impatience que de curiosité. Personnellement j'ai à la fois été envoûtée, intriguée et décontenancée par les révélations distillées au compte-goutte. J'ai beaucoup aimé.
C'est une lecture sensible, d'une grande délicatesse, pudique et instinctive, servie par une plume classieuse et élégante (ah, Kazuo Ishiguro !...). À aborder avec la même minutie dont fait preuve l'auteur, sans attente particulière.
Un été avec Kim Novak, de Hakan Nesser
« L'été sera rude, a dit mon père. Autant nous préparer à ça. »
Trente ans ont passé depuis l'été de ses 14 ans, époque où Erik a passé des vacances mémorables avec son copain Edmund à Tibériade, le cabanon familial situé en bord de lac. À eux l'insouciance et l'ivresse de la liberté. Avec son frère Henry pour seul chaperon, les garçons font preuve de désinvolture et de bravade (fumer en cachette, contourner les entrées payantes, se livrer à des séances de voyeurisme, fantasmer sur la belle Eva...). Cet été-là sera pourtant marqué d'un drame qui va chambouler à jamais leur existence.
Henry, son frère aîné, vient de rompre avec sa fiancée et s'est lancé dans l'écriture d'un roman. Chaque soir, il aime sortir dans des lieux branchés, draguer la minette et la ramener au cabanon pour quelques acrobaties coquines. Les garçons ont le choc de leur vie quand ils découvrent, parmi ses conquêtes, le sosie de Kim Novak - la sublime Eva Kaludis - qu'ils avaient également croisée au collège lors d'un remplacement.
Celle-ci a pourtant déjà un petit copain, une star de handball, au tempérament jaloux et agressif. Et quand son corps est retrouvé assassiné, pas loin du lieu de leur villégiature, la police se pointe au cabanon et passe au crible l'alibi des garçons. Fin de l'été, retour à la réalité. Longtemps après, Erik continuera d'être hanté par les événements survenus au cours de cet été et de s'interroger sur les raisons du crime et l'identité du coupable.
Cette lecture, d'une intensité ciselée et prenante, est stupéfiante ! De suite, elle nous hypnotise par son charme vénéneux et son atmosphère languide, au rythme d'un été fantasque et torride. J'ai été scotchée, complètement séduite par cette écriture simple, mais pénétrante. On suit sans complexe deux garçons en plein apprentissage d'indépendance, de sexualité et de responsabilité morale, non sans maladresse et avec toute l'intrépidité de leur âge.
On partage aussi les bribes d'une histoire empreinte de non-dits et de culpabilité étouffée, une histoire tantôt drôle ou malicieuse, mais définitivement bouleversante. La lecture est dépaysante à souhait, direct au cœur de la Suède des années 60, le temps d'un été chaud et indolent. On s'évade instantanément, avant de retoucher terre avec une pointe de regret et de nostalgie.
Alain Lawrence, le lecteur pour Sixtrid, nous plonge avec subtilité dans les méandres d'un été de toutes les découvertes, entre exaltation et perplexité, et un sens du tempo tout à fait remarquable. J'ai beaucoup aimé.
Sixtrid, janvier 2015 ♦ Interprété par Alain Lawrence (durée : 6h 22) ♦ Traduit par Agneta Ségol pour les éditions du Seuil (Kim Novak badade aldrig i Genesarets sjö)