La Bicyclette bleue, de Régine Deforges
Août touchait à sa fin. Léa, la deuxième fille de Pierre Delmas, qui venait d'avoir dix-sept ans, les yeux mi-clos, assise sur la pierre encore chaude du petit mur de la terrasse de Montillac, tournée vers la plaine d'où montait certains jours l'odeur marine des pins, balançait ses jambes nues et bronzées, aux pieds chaussés de bazardaises rayées.
Vivant dans l'insouciance de ses 17 ans et la certitude d'être aussi belle que farouche, Léa Delmas règne sur son essaim de prétendants avec une insolente assurance. Mais nous sommes en août 1939, la guerre éclate. La jeune fille est désespérée. Elle vient de voir l'élu de son cœur en épouser une autre et lui arracher la promesse de veiller sur celle-ci. Camille est fade, douce, assommante. Tout le contraire de notre rousse volcanique. Pour plaire à Laurent, elle accepte tous les compromis.
Car Léa est fougueuse, sensuelle et impudique. Elle réclame de l'amour des étreintes passionnées, pouvant l'arracher du chaos ambiant et de cette guerre cauchemardesque. Aussi, la jeune femme se donne sans compter et multiplie les amants... entre Mathias, son ami d'enfance, insatiable et impatient, sans oublier l'inaccessible Laurent, qu'elle tente de séduire à maintes reprises, ou François, pour lequel elle ne peut réprimer son attirance, et qui la comprend mieux que personne. « Votre désir sera toujours plus fort que votre intelligence et votre instinctive prudence. Vous êtes une enfant gâtée qui n'hésite pas à prendre le jouet d'une autre même si, une fois en votre possession, le jouet vous semble moins beau. Vous voulez tout, Léa, et tout de suite. »
Cette saga s'ouvre sur un premier tome flamboyant, que j'ai dévoré le cœur battant fort, fort, fort, quand bien même je l'avais déjà lu vingt ans plus tôt ! Si les premiers chapitres rappellent immanquablement que la trame d'Autant en emporte le vent constitue effectivement la base du roman, en guise d'hommage ou de pastiche, on bascule vite dans un autre monde, une autre époque, un autre combat et d'autres amours interdites. Et sulfureuses. Léa folâtre pour conquérir sa liberté et défier la mort, avec cette candeur et cette gourmandise qui la caractérisent tant. R. Deforges n'a pas fini de nous transporter dans les affres de la passion, avec pour toile de fond les ravages d'une guerre destructrice et implacable. Tout simplement, captivant !
Fayard ♦ éditions Ramsay / 1ère édition : 1981 ♦ Couverture de Jerome Lo Monaco
# été 2015 : Je relis la saga #
La Renarde, de Marine Blandin & Sébastien Chrisostome
Oyez, oyez, les lecteurs accros aux lectures décapantes, vous allez vous délecter avec cette Renarde sournoise, qui tourne en bourrique le poulailler et la faune environnante. Le ton est particulièrement féroce (elle croque tous les bébés lapins et rend dépressive leur maman), parfois graveleux et grossier (elle se moque vertement du chien de garde et du chasseur). L'humour est donc sacrément irrévérencieux et obscène, mais malgré tout jouissif, il n'y a qu'à croiser le loup déglingué, qui suinte la mort, ou Kevin le cheval qui rêve d'aventures (et est trop gras et lourd pour s'échapper du pré en passant par le portillon ouvert)... C'est à mourir de rire ! Les ados de la maison en sont particulièrement friands, et je dois dire qu'ils ont du nez en la matière ! La dernière BD à nous avoir autant faire rire, c'était Coucous Bouzon d'Anouk Ricard. ;-)
Résumé de l'éditeur (tout simplement alléchant) : Amis des bêtes, passez votre chemin ! Amoureux des lapereaux mignons, des fermiers sympathiques ou des chiens de gardes efficaces, cet album n est pas pour vous. Car la Renarde, monstre de drôlerie, obtient toujours ce qu'elle veut, quoi qu'il en coûte à ses adversaires ! Cette pro de l'arnaque au pelage chatoyant met sens dessus dessous la petite communauté rurale qui l'entoure. Elle mange les bébés de madame lapine, bouffe les poules du fermier et les fait tous tourner en bourrique... même Kevin le cheval. Un personnage à la malice méphistophélique qui aligne les gags à la mécanique parfaite. Ne vous fiez pas à leur graphisme tout en rondeur, Marine Blandin et Sébastien Chrisostome distillent un humour au cynisme implacable. En refermant l'album, il y a de bonnes chances que vous murmuriez à vous-même : « quelle saloperie cette renarde, tout de même... »
Ah, ah ! ☺ ♥
Casterman / Professeur Cyclope - Mai 2015
La Main heureuse, de Frantz Duchazeau
Apprenant que leur groupe mythique donne un concert à Bordeaux, deux potes parcourent 100 bornes, en mob, pour s'éclater sur la Mano Negra en live. Leur échappée est aussi belle que folle et décoiffante, avec des allures psychédéliques hallucinantes mais aux effets galvanisants ! J'ai été scotchée. Clairement. L'histoire vous tient aussitôt par la bride et vous embarque dans une frénésie juvénile, qui fait la part belle à la liberté adolescente, à la puissance des rêves et au pouvoir de l'absolutisme (quand on veut, on peut !).
On savoure alors l'ambiance insouciante et culottée, les délires exponentiels, les frasques et les rencontres des deux gamins dopés à un élixir décapant, celui de la « Main Noire », dégainé comme un sceau protecteur. Et c'est juste wahou. Tout ça sur fond des années 90, époque bénie du rock alternatif, des concerts désinhibés, de la joie partagée et du public jamais rasséréné. Adieu les galères et l'impossible, place aux idéaux et à l'aventure.
En gros, cette lecture fait un bien fou, pour son incroyable nostalgie, son énergie débordante, son imaginaire, ses fantasmes et sa passion immortelle. On plonge dans de pleines pages en noir & blanc, au graphisme épuré, mais aux évocations saisissantes. Cela vous allume du début à la fin, c'est vif, fringant, exaltant. Logique pour une lecture qu'on vit à fond tant elle est revigorante, incongrue et définitivement éclatante !
Casterman / Professeur Cyclope - Mai 2015